Chroniques

par laurent bergnach

James Dillon
East 11th St. NY 10003 – Windows and canopies – La Femme invisible

1 CD NMC (1992)
D 004
James Dillon | œuvres variées

Jouée régulièrement à Strasbourg ou Paris, l'œuvre de James Dillon est servie depuis toujours par des interprètes d'exception (Accroche Note, 2e2m, Quatuor Arditti, etc.), mais son nom reste moins connu que d'autres Anglais de sa génération, tel Ferneyhough. Né à Glasgow le 29 octobre 1950, Dillon commence sa carrière au sein d'ensembles traditionnels de cornemuses et dans des groupes rock. Sans suivre de véritables cours de composition, il étudie la musique, l'acoustique et la linguistique à Londres. De nombreux prix l'ont récompensé et il fut élu Musicien de l'Année par le Sunday Times, en 1989. Rejetant la notion d'école, cet indépendant ne cache pas son intérêt pour le jazz, le blues ou les traditions orientales tout en concevant une musique fortement européenne, sans exotisme bon marché ni facilité créatrice. « J'aime tout ce qui gît dans un paysage vierge,dit-il,toutes les aberrations et cahots, les impuretés et salissures, le désordre et la beauté ». D'où, peut-être, l'influence de Varèse et Xenakis sur ses premières pièces, comme East 11th St. NY 10003 (1982).

Dédiée à John Cage à l'occasion de ses soixante-dix ans, cette pièce pour six percussionnistes est construite sur les échanges et les contrastes de timbres. Trois grandes sections la compose : la première – aux allures d'une machine complexe qui finit par perdre son énergie – centrée sur les sons métalliques (cloches, cymbales, triangles, etc.), la seconde sur des dialogues de timbales entrant dans l'espace de certaines résonances (drums, woodblocks et quelques cloches), et la dernière dominée par l'usage des tambours et de vastes changements de couleurs. L'œuvre inaugure Nine rivers, un cycle électroacoustique aux symétries internes, qui explore la notion de flux et de turbulence, achevé en 2000 – et dont La femme invisible forme la quatrième partie.

Créée en 1989, cette dernière convoque un ensemble à vents (flute/piccolo, flûte alto/flûte basse, cor anglais/hautbois, hautbois, clarinette, clarinette basse, saxophone soprano, saxophone alto), trois percussions et un piano. Son titre se réfère à La Femme Visible, un livre que Salvador Dali consacrait à sa muse Gala en 1930, mais aussi à une réflexion du philosophe occulte Nicolas Flamel sur le cheminement de la rivière, tantôt visible en surface, tantôt sinuant dans des galeries souterraines, similaires aux cavités féminines. Les ruptures musicales y sont fréquentes, les juxtapositions inattendues, à l'image d'un montage cinématographique. Les Parisiens pourront l'entendre le 3 octobre prochain, lors du concert d'ouverture de saison 2006-2007 de l'EIC, à la Cité de la musique.

Si la musique de Dillon frôle souvent la source spectrale d'un Murail, c'est l'ombre du jeune Haydn qui apparaît dans Windows and Canopies (1985), avec une formation des plus traditionnelles : douze cordes, des paires de flûtes, de hautbois et de cors, ainsi qu'un percussionniste. L'œuvre propose un matériel ouvert, à l'image d'une fenêtre offrant une vue panoramique, mais en contraste avec des sections fermées centrées sur les cordes – chacune d'elles jouant de façon indépendante –, en référence aux jonctions touffues de la forêt tropicale, sortes de baldaquins au-dessus de nos têtes.

À la tête du Music Projects / London, Richard Bernas propose sa lecture dynamique d'une musique que le multi-instrumentiste et critique Jean-Noël von der Weid associe à une jouissance qui« ne nous emplit pas de béate et dolente euphorie » et dont le sens précaire entraine« des successions de catatonies et de précipitations, de suspens et de flèches, de blocs de devenir ». Si l'on souhaite aborder l'œuvre soliste de Dillon, le label londonien propose également The Book of Elements, un cycle en cinq volumes (1997-2002) défendu brillamment par la pianiste Noriko Kawai (NMC D 091).

LB