Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Baptiste Lully
Roland

1 coffret 3 CD Ambroisie (2004)
AMB 9949
Jean-Baptiste Lully | Roland

Tragédie en un prologue et cinq actes, Roland est créé à Versailles en janvier 1685, d'après un livret de Philippe Quinault. L'idée en aurait été suggérée par le roi Louis XIV, récent conquérant du Luxembourg et pécheur retourné dans le sein de l'Église. Qui mieux que Roland, guerrier réputé et héros chrétien, pouvait représenter le roi, alors que les sujets d'inspiration mythologique, avec leurs divinités trop latines, tendaient à disparaître ? Amadis (1684), Roland, Armide (1686), autant de figures du Moyen-âge français qui prenaient le relais...

Vaguement inspirée de l'Orlando innamorato de Boiardo et de l'Orlando furioso de l'Arioste, l'histoire est celle de la reine Angélique, reine du Catay, dont est amoureux Roland, mais qui soupire pour un homme sans biens, sans noblesse (Mais Médor est si beau qu'elle l'a préféré / A cent roys qui pour elle ont en vain soûpiré). Sur les conseils de sa servante Témire, elle l'éloigne mais n'arrive pas à l'oublier. Alors que l'élu tente de mettre fin à ses jours, elle le retrouve et lui avoue enfin sa flamme. En parallèle, nous assistons aux tourments de Roland : d'abord désolé par l'ignorance de l'ingrate qu'il couvre de cadeaux, il espère enfin quand, pour gagner du temps, elle lui fait la promesse de le retrouver à la nuit. Mais des serments gravés, la rencontre d'une troupe de bergers et bergères lui apprennent la vérité : l'amour de la reine pour un autre, sa fuite avec lui et leur mariage pour le lendemain. La détresse d'un amour déçu, la fureur d'avoir été trahi lui font perdre l'esprit. Sollicitée, la fée Logistille endort le malheureux, le guéri de son amour pour Angélique et lui redonne le goût des armes et du combat. La Gloire, la Renommée et la Terreur assistent ravies à ce retour à la raison : « ne suivez plus l'amour, c'est un guide infidelle ! »

Après une entrée un peu effacée, Anne-Maria Panzarella (Angélique) sert le texte subtil grâce à une belle diction et donne un relief théâtral à cette tragédie point trop sanglante – voir en particulier son dilemme (Acte I, scène 5) : « S'il faut que l'amour me surmonte / Je doy mourir de honte / S'il faut l'arracher de mon cœur / Je mourray de douleur ». Signalons également son art de l'ornementation (II, 2). Face à elle, Nicolas Testé (Roland) fait merveille avec sa voix de basse aux graves un peu creux parfois mais dont la juvénilité est irremplaçable ; Olivier Dumait (Médor), instable, nous aura moins convaincu.

Monique Zanetti (Témire), à la voix présente et sonore, possède une belle homogénéité de timbre. Evgueni Alexiev (Demogorgon, Ziliante...), nasillard et un peu faux, manque de subtilité par rapport aux autres interprètes. Citons aussi les ténors Emiliano Gonzalez-Toro et Anders J.Dahlin qui, avec des voix très différentes, apportent leur contribution de qualité au projet – dont ce duo des deux insulaires (fin de l'acte I), réflexion populaire sur l'amour qu'on pourra retrouver plus tard dans Les Troyens, de Berlioz. Enfin, les chœurs très présents dans l'œuvre (fées, bergers, ombres des héros...) sont excellents et profitent d'une belle prise de son qui donne relief et luminosité aux ensembles.

À la tête des Talens lyriques, Christophe Rousset nous enchante une fois de plus par un grand travail de nuances et une dynamique très vive qui font de ce premier enregistrement de l'œuvre une référence.

LB