Chroniques

par bertrand bolognesi

Jean-Claude Menou
Le voyage-exil de Franz Liszt et Marie d’Agoult en Italie (1837-1839)

Actes Sud (2015) 284 pages
ISBN 978-2-330-04808-2
J.-C. Menou publie Le voyage-exil de Franz Liszt et Marie d’Agoult en Italie

Le cycle des Années de pèlerinage parcourt la Suisse au fil de neuf pages méditatives et romantiques, principalement inspirées par les paysages (à quelques exceptions près), puis l’Italie des poètes, des peintres, des architectes et des sculpteurs. Pèlerinage artistique ? Pour dire la vérité, Franz Liszt et sa compagne Marie d’Agoult fuyaient la France, territoire où le comte Charles Constant faisait encore autorité sur son épouse, selon la loi en vigueur. D’une union considérée comme illégitime en un temps où le divorce n’était plus autorisé – vous avez bien lu plus et non pas encore –, les enfants auraient dû porter le nom du mari abandonné, quand bien même, n’en étant pas le père, il ne les eût pas reconnus : le départ du couple vers le Léman, puis de là vers les lacs lombards, arrangeaient donc les deux parties.

C’est à travers l’Italie du nord que Jean-Claude Menou promène le lecteur, sur les pas du musicien et de la future historienne et critique d’art. L’un s’avouait d’abord totalement vierge de toute connaissance quant à la culture du pays, quand Marie, plus éclairée, demeurait cependant fermement arrimée dans son jugement à son goût pour l’architecture gothique. De ville en ville, de monuments en musées, d’églises en villas et de tombeaux en toiles, il est proprement passionnant de suivre l’éducation des amoureux, le compositeur s’avérant plus ouvert et enthousiaste que la comtesse, souvent d’humeur ronchonne par-delà la magnificence des monuments abordés. Qu’à cela ne tienne, le goût se forme, la chartreuse de Pavie d’abord regardée de haut devient belle à la deuxième visite, et ainsi de suite.

Les découvertes se succèdent non sans événements parfois plus épineux – comme cette menace de duel qui pesa sur Liszt à Milan, suite à la publication d’une critique fort insultante par lui signée bien qu’écrite par Marie – prolongeant l’investigation biographique ou thématique du compositeur [lire nos critiques des ouvrages de Werck et de Galliari]. Tandis que naissent deux enfants, deux années d’une fébrile quête culturelle passent dans une liberté peu imaginable sous d’autres cieux. Des rencontres jalonnent également le trajet, comme celle de Lorenzo Bartolini (1777-1850) qui ouvrit les yeux de son nouvel ami tout en sculptant son portrait, et quelques séjours plus conséquents, comme ceux de Florence et de Rome. Bientôt l’idée de conclure par Naples est abandonnée. Caravage, Lippi, Michel-Ange, Raphaël, Titien, Véronèse, Vinci et bien d’autres, mais encore Dante et Pétrarque sont les générateurs des grandes émotions jalonnant cette escapade aux allures de lune de miel qui n’en finit pas moins par une rupture véritable.

Ce livre se pourra lire aussi bien comme le touchant témoignage de la liaison amoureuse et romanesque que l’on sait, comme l’étude détaillée des prémisses qui incitèrent Franz Liszt à composer quelques-unes de ses plus belles pages ou comme une invitation au voyage lui-même, celui de l’histoire italienne de l’art et de la littérature comme le géographique, puisqu’il pourrait assez avantageusement et sans nostalgie servir de guide efficace, actualisant à l’aune des connaissances actuelles sur les œuvres et les musées qui les exposent les approches dont nos amants se sont faits l’écho, jusqu’à corriger certaines erreurs souvent dues à l’usage d’un guide imprécis de l’époque. En voiture !

BB