Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Les Indes galantes

3 CD Musiques à la Chabotterie (2014)
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Jean-Philippe Rameau | Les Indes galantes

Quelques années après L’Europe galante (1697), l’un des tous premiers opéras-ballets signé André Campra, le goût de l’exotisme s’empare de la France, laquelle développe outre-mer des échanges diplomatiques et commerciaux inédits. Bien évidemment, des artistes rendent compte de cet engouement, tels Jean-Philippe Rameau (1683-1764) et son librettiste Louis Fuzelier dans Les Indes galantes, ballet héroïque original créé à l’Académie royale de Musique, de façon partielle le mardy 23 août 1735, puis dans sa totalité le samedy 10 mars 1736. On a parfois souligné l’indigence et la faiblesse de sa plume, mais l’écrivain n’en démord pas : ce qui doit constituer le fond d’un ballet, c’est « un tissu de maximes enjouées, liées par une intrigue légère » pouvant faire éclore « des airs gracieux et des danses variées ».

Les Indes galantes comporte un Prologue et quatre Entrées (Le Turc généreux, Les Incas du Pérou, Les Fleurs, fête persane et Les Sauvages, partie ajoutée lors de la reprise). Même si le ballet cherche à divertir le public « sans le secours des dieux et des enchanteurs », il débute en présence d’Amour et d’Hébé, déesse de la jeunesse, malmenée par Bellone, sœur de Mars. Mais ce n’est qu’un prétexte pour visiter Turquie, Pérou, Perse et Louisiane – les Indes orientales et occidentales. On découvre successivement un pacha capable de renoncer à une esclave fiancée à l’officier chrétien qui le traita jadis avec humanité, un prêtre manipulateur qui veut empêcher la princesse qu’il aime de se rapprocher d’un chef de guerre espagnol, un prince et son favori échangeant deux esclaves pour combler leurs espoirs amoureux, ainsi qu’une jeune « Sauvage » qui préfère un guerrier de sa tribu à deux officiers européens peu sincères.

Comme pour Atys en 2009 [lire notre chronique du 11 août 2009], Hugo Reyne et La Simphonie du Marais sont remontés aux partitions de la création, pour respecter au mieux les volontés de Rameau, au moment d’enregistrer une seconde intégrale, plus de vingt ans après la seule existant aujourd’hui. Pour les plus curieux, un long texte du chef d’orchestre détaille cette plongée dans des archives fort malmenées au fil des reprises, tout au long du XVIIIe siècle. Dans cet enregistrement qui suit le concert des 26 et 27 janvier 2013 à la Konzerthaus de Vienne (festival Resonanzen), le chef favorise un entrain moelleux, entre grâce (Ballet des Fleurs) et frémissement (orage, tremblement de terre, etc.).

« Un bon musicien, rappelle l’auteur de Castor et Pollux [lire notre critique du DVD], doit se livrer à tous les caractères qu’il veut dépeindre ; et comme un habile comédien, se mettre à la place de celui qui parle […] » (in Jean-Philippe Rameau, Fayard, 2014) [lire notre critique de l’ouvrage]. Ici, les personnages ne manquent pas puisqu’on en compte dix-sept, défendus par six solistes. Les rôles de soprano sont tenus par Valérie Gabail, au chant chaud, vif et évident, et Stéphanie Révidat, souple et expressive – mais aussi acides, chacune à une extrémité de l’ouvrage. Deux haute-contres interviennent également : Reinoud Van Mechelen, tendrement coloré et onctueux, et François-Nicolas Geslot, d’une clarté saine mais parfois tendue. Enfin, les barytons-basse sont l’omniprésent Aimery Lefèvre, oscillant entre retrait et vaillance (adoration au soleil), ainsi que Sydney Fierro, sonore interprète d’un seul personnage.

LB