Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Thiellay
Meyerbeer

Actes Sud (2018) 190 pages
ISBN 978-2-330-10876-2
Meyerbeer, une biographie concentrée signée Jean-Philippe Thiellay

Alors que sonne le retour des Huguenots à l’Opéra national Paris, après quatre-vingts ans d’absence [lire notre chronique du 1er octobre 2018], Jean-Philippe Thiellay fait paraître une biographie de Meyerbeer (1791-1864). Si le directeur général adjoint de l’institution a déjà choisi de co-présenter, avec son père Jean Thiellay, les vies de Rossini (2012) et Bellini (2013) sans préciser leur prénom sur la couverture, l’omettre ici à un sens particulier puisque, au rythme de ses pérégrinations, le musicien s’est fait connaître sous trois prénoms successifs qui sont autant de clés de lecture de sa vie et de sa carrière.

Né Jakob Liebmann Meyer Beer dans la banlieue de Berlin (Tasdorf), le fils d’Amalia et Juda choisit son nom définitif en 1822, dans une période de libéralisme en faveur de la communité juive. La famille est riche (commerce du sucre), intellectuelle et mondaine (salon), si bien que l’orientation artistique du bambin ne fait pas débat. Le 14 octobre 1801, son premier concert public le montre excellent au piano, un instrument pour lequel il écrit sa première pièce attestée (1803 ; il a douze ans). Il multiplie les professeurs de composition (Carl Friedrich Zelter, Bernhard Anselm Weber, abbé Vogler) et les œuvres inscrites dans le préromantisme ambiant. Dès Jephtas Gelübde (1812), premier de ses opéras, Meyerbeer est célébré… du moins jusqu’à ce qu’il parte en Italie.

Dans le pays où il adopte le prénom définitif de Giacomo, Meyerbeer vient perfectionner sa connaissance de l’art lyrique auprès des meilleurs, car, dit-il, « on apprend à écrire pour la voix humaine seulement au contact des grands chanteurs ». Il y arrive en 1816 pour en repartir une décennie plus tard, offrant à Padoue, Venise, Milan, etc. une série de sept opus dans la langue de Dante. Marqués par un enthousiasme pour Rossini, ceux-ci se libèrent peu à peu des règles.

Jacques Meyerbeer est une signature qu’on retrouve au bas d’un courrier adressé à la basse Levasseur (1823), lequel résume tout ce que lui offrirait une collaboration avec l’Opéra de Paris – d’excellents poèmes, un public curieux. Quittant une seconde patrie, son auteur rejoint la capitale française pour y côtoyer les génies littéraires (Balzac, Musset, Hugo, etc.) et enchanter ses contemporains avec quatre légendes du Grand opéra, de Robert le Diable (1831) au posthume Vasco de Gama, renommé L’Africaine (1865) [lire notre critique du DVD et notre chronique du 11 mars 2018]. Entre temps, outre quelques créations berlinoises, naîtront à l’Opéra Comique L’Étoile du Nord (1854) et Le pardon de Ploërmel (1859).

Contrairement à d’autres musiciens pourtant bien plus proches de nous [lire notre critique de l’ouvrage André Messager], la vie intérieure de celui qui fut une cible de choix (confrères jaloux, patriotes, etc.) nous est bien connue, grâce à ses journal et correspondance. Du premier compositeur véritablement européen, on peut peindre le portrait d’un bâtisseur fidèle à sa famille et aux amis, amateur de voyages et de spectacles, perfectionniste et exigeant dans son travail – « chaque jour composer quelque chose, quoi que ce soit […] » écrit-il en 1855, à plus de soixante-dix ans. C’est cet homme aux multiples facettes, que Jean-Philippe Thiellay a su rendre attachant, dans le XIXe siècle artistique décrit avec force détails. Un bon cru de cette collection Classica souvent bien volatile !

LB