Chroniques

par anne bluet

Johann Sebastian Bach
Cantates BWV 210 – BWV 211

1 CD Bis (2005)
1411
Johann Sebastian Bach | Cantates BWV 210 – BWV 211

En comparaison de quelques deux cents cantates religieuses, les cantates profanes de Johann Sebastian Bach sont plus rares en nombre ; une vingtaine seulement nous sont parvenues, quoique des livrets retrouvés attestent de l'existence d'une trentaine d'autres, aujourd'hui perdues. Presque sans exception, ces œuvres sont le résultat d'une commande à l'occasion un événement de la vie familiale, sociale, académique ou politique : mariage, anniversaire d'un membre de l'aristocratie, hommage à un prince, etc. Cette pièce de circonstance, célébrant un moment précis et éphémère, devait atteindre grandeur et pérennité par ses qualités artistiques – principalement l'agencement parfait du texte et de la musique. Composée sur mesure, une telle cantate rendait peu envisageable une utilisation ultérieure. Néanmoins, Bach en réutilisa certaines, modifiant les récitatifs, et parfois même dans leur intégralité.

O holder Tag, erwünschte Zeit BWV 210 (Ô heureux jour, temps bienvenu) est un exemple extrême de cette pratique. Il semble que le compositeur ait utilisé cette cantate pas moins de cinq fois. La première version daterait d'avant 1729, les suivantes nous emmènent jusque 1741. La seule que nous possédions dans son intégralité comporte une multitude de retouches apportées au texte ; elle se destinait à un mariage dont les protagonistes apparaissent peu identifiables si ce n'est par des allusions au marié, grand protecteur de la musique, très savant et à l'aube d'une carrière prometteuse. Cet art est donc au cœur du texte, un art qui séduit le plus grand nombre mais que d'autres détestent et combattent. Ses connaisseurs et protecteurs sont ici loués pour leur action bénéfique. Déjà bien avancé dans son intégrale des cantates de Bach, Masaaki Suzuki et son très expert Bach Collegium Japan en offre ici une interprétation à la fois souple et claire, laissant virevolter les bois au dessus d'une pulsation d'une discrétion extraordinaire, tout au service de la voix et du propos lui-même. On notera la très grande et simple élégance de cette version, malencontreusement malmenée par l'aigu imprécis et systématiquement enflé du soprano Carolyn Sampson, particulièrement gênant dans Seid beglückt, edle beide, le dernier air, mais dont le timbre, par ailleurs, paraîtra idéal au sujet traité.

En revanche, on saluera le bel équilibre atteint par l'interprétation de Schweigt stille, plaudert nicht BWV 211 (Taisez-vous, ne parlez pas), d'un tout autre style, qui demeure la plus populaire des cantates profanes de Bach, sans doute de par son texte humoristique. Connu sous le nom de Kaffeekantate, l'intrigue du poète Christian Friedrich Henrici évoque de manière satirique cette boisson à la mode depuis la fin du XVIIe siècle : pour que sa fille Liesgen renonce à sa passion caféière, Schlendrian promet de lui trouver un époux ; celle-ci accepte le marché tout en signifiant qu'elle n'acceptera aucun prétendant ne lui laissant boire sa boisson favorite ! L'origine même de ce dramma per musica garde un lien avec son sujet puisqu'il est admis que l'œuvre a été composée pour une exécution au café Zimmermann où Bach se produisait une fois par semaine, avec son Collegium musicum. De facture légère et pleine d'entrain, ses dialogues et récitatifs sont des plus vifs, les airs caractérisant exquisément le père bougon et sa capricieuse progéniture. Le désagrément spécifié dans l'œuvre précédente fait ici figure d'avantage, posant avec une expressivité indéniable le personnage féminin monomaniaque qui n'en fait qu'à sa guise – Heute noch, Lieber Vater, tut es doch ! est, à ce titre, une petite merveille –, tandis que le ténor Makoto Sakurada mène parfaitement son chant, et que la basse Stephan Schreckenberger, outre d'offrir une réalisation musicale irréprochable, sert le texte et sa théâtralité avec sensibilité et intelligence. Ici, la pulsation est plus présente : Masaaki Suzuki accentue à peine la verve comique de l'œuvre par ce trait qui reste toutefois très délicatement dosé, jusqu'à l'affirmation à peine souriante de l'ironique trio final.

AB