Chroniques

par laurent bergnach

John Blow
Venus and Adonis | Vénus et Adonis

1 DVD Alpha (2013)
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John Blow | Venus and Adonis

Au mitan du XVIIIe siècle, l’Angleterre connait des bouleversements politiques et religieux qui permettent à Cromwell d’instaurer la République et le règne des Puritains – événement dont Bellini ferait la toile de fond d’un de ses opéras [lire notre critique du DVD]. Les théâtres ferment et, si l’on en croit Dominique Fernandez, « beaucoup de musiciens furent harcelé ou réduits à la condition de domestiques, leurs partitions brûlées […], les orgues détruites » (in La rose des Tudors, Actes Sud, 2008). Le retour de la monarchie (1660), incarné par Charles II qui met fin à son exil chez Louis XIV, offre un renouveau inespéré à la vie musicale anglaise et permet à William Turner, Henry Purcell et John Blow (1649-1708) d’œuvrer pour l’éclat du royaume, à l’instar de Lully outre-Manche. Un temps, l’auteur d’Atys [lire notre critique du DVD] et de Roland [lire notre critique du CD] sert d’ailleurs de guide à un peuple coupé des influences européennes durant plus de dix ans (ouverture à la française, pastorale, opéra italien, etc.).

Né l’année de la décapitation de Charles I, John Blow est d’abord organiste à l’abbaye de Westminster avant d’être nommé compositeur de cette même Chapelle Royale dont il fut jadis enfant de chœur et que l’on remet à flots. Il écrit de nombreuses pièces religieuses, des odes de circonstance – telle On the Death of Mr. Henry Purcell, pour son élève adoré qui avait repris l’orgue de Westminster à sa suite –, mais aussi de la musique profane. Considéré comme le premier opéra anglais conservé à ce jour, Venus and Adonis appartient à cette dernière catégorie. Pour les trois actes avec prologue de ce « masque pour le divertissement du roi » créé à Londres ou à Windsor vers 1683, Ann Finch, dame d'honneur de la duchesse d’York et librettiste supposée, s’inspire du livre X des Métamorphoses d’Ovide, de l’amour de Vénus pour Adonis et de la mort de ce dernier frappé par un sanglier furieux.

Filmée par François-René Martin au Théâtre de Caen en octobre 2012, peu avant les représentations parisiennes [lire notre chronique du 15 décembre 2012], cette production est signée Louise Moaty, fidèle collaboratrice de Benjamin Lazar. « C’est un conte cruel, explique-t-elle, une vanité qui inscrit dans l’espace du mythe l’éphémère des plaisirs et de la vie. […] L’histoire tragique d’Adonis nous a conduits vers une scénographie et des costumes assez sombres. Il y aura beaucoup de noir mêlé au végétal et au feu. » Hélas, les références annoncées (Catacombes de Palerme, Dürer, Cranach, Bruno, Kepler, Fludd) font apparaître un cabinet de curiosités frivole, où les véritables scènes un peu légères (le « prêche » de Cupidon) dérident comme un Carême à la Trappe. Le seul point amusant de ce théâtre indigent est qu’il frôle l’auto-parodie d’un style qu’on dira « cireux » – bougies fumantes et teints blafards…

Déçus, nous le sommes aussi par Bertrand Cuiller, à la tête des chœur et orchestre Les Musiciens du Paradis, surtout au regard de son credo artistique – « diriger la musique baroque demande moins de technique qu’un opéra de Wagner, c’est avant tout une question d’énergie à transmettre ». Avons-nous jamais entendu partition aussi peu habitée, direction aussi déliquescente et mollassonne ? La fosse s’est-elle rendue insipide par osmose avec la mièvrerie scénique ? Des questions qui invitent à bouder les vingt-cinq minutes d’Ode à Sainte Cécile offertes en bonus, avec les cinq épisodes réalisés par France 3 Normandie durant les répétitions.

Comme si cela ne suffisait pas, la déesse de l’ouvrage est « désincarnée » par le soprano Céline Scheen qui condescend à être là, avec son chant aux placements multiples, faible, acide et moins impacté que celui d’un gamin – en l’occurrence Grégoire Augustin (Cupidon), soliste de la Maîtrise de Caen dirigée par le toujours efficace Olivier Opdebeeck. Si l’on est friand de fermeté, stabilité et santé, on trouvera son bonheur avec certains membres des chœurs et, comme très souvent, avec Marc Mauillon (Adonis) qui fait preuve de précision et de présence, mais aussi de sensibilité, avec d’ultimes notes qui font frissonner.

LB