Chroniques

par laurent bergnach

John Cage
Sonates et interludes pour piano préparé

1 CD æon (2012)
AECD 1227
John Cage | Sonates et interludes pour piano préparé

Peintre abstrait passionné par l’architecte Fuller, John Cage (1912-1992) attend la fin de l’adolescence pour s’orienter vers la musique, étudiant ici et là avec Richard Buhling, Fanny Dillon, Lazare Lévy, Adolf Weiss, Arnold Schönberg et Henry Cowell, entre 1931 et 1935. Alors que le Viennois lui conseille de renoncer à pousser plus avant, faute de n’avoir pas « le sens de l’harmonie », la rencontre avec le créateur de The Banshee (1925) et The Tiger (1930) est déterminante [lire notre chronique du 21 septembre 2012]. Outre l’initier aux musiques orientales – « J’étais attiré par la structure et la complexité rythmique de la musique du nord de l’Inde » (in Le livre des champignons) –, le maître apporte à l’élève le ferment de ses propres recherches sur les ressources techniques du piano. Cage va radicaliser l’emploi direct des cordes de l’instrument et vulgariser, à vingt-trois ans, le « piano préparé » – papier, métal, plastique et caoutchouc altèrent le son émis.

Quelques années après Bacchanale (1940), un ballet de Syvilla Fort que l’hybride accompagne faute de place pour un ensemble de percussions, le compositeur s’inspire d’une remarque du poète Edwin Denby, « à propos du fait qu’une pièce courte peut contenir tout autant qu’une pièce longue », pour se lancer dans une composition de vingt pièces de faible durée, Sonatas and Interludes, commencée en février 1946 et achevée en mars 1948, après la parenthèse du ballet The Seasons. La partition témoigne d’une période charnière : alors qu’il débute sa liaison d’un demi-siècle avec Merce Cunningham, Cage se tourne vers la philosophie de l’Inde et souhaite restituer les neuf émotions de sa musique – héroïsme, érotisme, étonnement, joie, tristesse, peur, colère, haine et tendance à la tranquillité.

Dédiée à la pianiste Maro Ajemian, l’œuvre intéresse notamment Messiaen qui organise un récital pour ses étudiants parisiens, le 7 juin 1949, et les interprètes qui sont près d’une trentaine a l’avoir enregistré depuis (Boris Berman, Gérard Frémy, Joshua Pierce, James Tenney, John Tilbury, etc.). C’est qu’elle est séduisante autant que novatrice, avec sa variété de timbres qui emprunte aux cordes (harpe, guitare) comme aux percussions (piano jouet, gamelan, marimba, etc.), de rythmes (de la berceuse à la danse tribale) et de climats souvent subtils (la mélancolie, par exemple, n’est jamais franche) ; tantôt l’auditeur y est enveloppé de sons retenus et mystérieux, propres à l’introspection, tantôt confronté à d’autres, tempétueux et tourmentés, pouvant lui faire perdre la notion du temps.

En ce qui le concerne, serviteur de Bach, Schumann et Debussy par le passé, le Lausannois Cédric Pescia joue ces Sonates et interludes au concert depuis trois ans. Avec autant de finesse qu’ici-même, parions-le, il y reviendra les 7 et 8 novembre prochains, au Centre Culturel Suisse (Paris).

LB