Chroniques

par laurent bergnach

Karlheinz Stockhausen
Gruppen – Punkte

1 CD Budapest Music Center (2006)
BMC 117
Karlheinz Stockhausen | Gruppen – Punkte

Bien que sa mère joue du piano dans la maison familiale, c'est avec l'organiste de la cathédrale d'Altenberg que Karlheinz Stockhausen (1928-2007) reçoit les premières leçons sur cet instrument. Pensionnaire au collège à partir de 1942, il y ajoute l'étude du violon. En 1950, après la fin d'une guerre qui verrait la disparition successive de ses géniteurs, il participe à la création du Westdeutscher Rundfunk (WDR). En parallèle d'études musicales à la Musikhochschule de Cologne, il vit alors de petits boulots – tel pianiste de jazz dans les bars. Marqué par les cours d'été de Darmstadt, il commence des recherches sonores dans une voie qu'emprunte également Boulez et Nono. L'influence d'Hindemith s'efface au profit de Schönberg, puis Webern et Messiaen. Dans le courant des années cinquante, il aborde le sérialisme total (ses premières créations), le domaine expérimental (au studio de Pierre Schaeffer), la musique électronique (Studie I), la musique aléatoire (célèbres Klavierstücke). Gruppen et Punkte appartiennent à ce milieu de siècle, antérieurs au principe de Momentform.

Créée à Cologne le 24 mars 1958, cette première œuvre pour trois orchestres (cent neuf musiciens, dont douze percussionnistes) d'un homme d'à peine trente ans en a fasciné plus d'un, dont Stravinsky et Kurtág, lequel déclarerait : « Si Dostoïevski a un jour dit que la littérature russe est sortie du Manteau de Gogol, alors toute la musique du XXe siècle d'après 1950 est sortie de Gruppen ». Trois chefs sont nécessaires – ici Arturo Tamayo, Péter Eötvös et Jacques Mercier, en place des Boulez, Maderna, et Stockhausen de la création – puisque, durant la plus grande partie de l'œuvre, ces trois groupes éloignés dans l’espace jouent en même temps à des tempi différents. Le disque ne peut rendre malheureusement la richesse des effets spatiaux spectaculaires, mais témoigne de celle des textures rencontrées.

Si la composition de Gruppen occupe les années 1955-57, celle de Punkte démarre en 1952. Exemple austère de Punktuelle Musik (musique pointilliste), l'œuvre fut mise de côté, au profit de Kontra-Punkte, qui devint la première publication de Stockhausen. Dix ans plus tard, la texture fragmentaire est revue, pour plus de densité. L'auteur livre ces notes dans un programme : « pareillement aux formes positives mentionnées, j'ai composé également des formes négatives ; trous, pauses, fosses avec différentes figures dont les limites sont plus ou moins marquées. Au cours de la composition, je suis passé de l'un à l'autre : j'ai soit créé une turbulence à partir de parois sonores, soit des résonances projetées dans l'espace vide ». À Donaueschingen, une fois de plus, la création du 20 octobre 1963 repose sur les épaules de Pierre Boulez. Puis, durant trois décennies, l'œuvre est révisée de façon fréquente jusqu'à la version imprimée de 1994 – d'une sensualité sauvage, pour d'aucuns unique chez Stockhausen – que livre Eötvös à la tête du WDR Sinfonieorchester Köln.

LB