Chroniques

par laurent bergnach

Ludwig van Beethoven
Leonore | Léonore

1 DVD Naxos (2021)
2.110674
Ryan Brown joue "Leonore" (1805), première version du célèbre "Fidelio"

En février 1899, dans les premiers mois d’activité de la troisième salle Favart – les deux premières prirent feu en 1838, puis 1887 –, Paul Dukas livre un compte rendu de Fidelio à la Gazette des Beaux-Arts. Après le titre des ouvrages abandonnés par Beethoven, parfois même sans la moindre esquisse (Macbeth, Bacchus, Romulus, Mélusine), il y rappelle le nom de Jean-Nicolas Brouilly, « cet excellent parolier, ayant imaginé une intrique puérile et compliquée » à l’origine de Léonore ou L’amour conjugal (1798). L’auteur de Velléda [lire notre critique du CD] peint ensuite l’enthousiasme du maestro d’outre-Rhin découvrant à Vienne le drame signé Ferdinando Paër, qui lui arrache ce mot célèbre : « cher ami, votre opéra est admirable ! Il faut absolument que je le mette en musique » [in Écrits sur la musique (vol.1), Éditions Aedam Musicae, 2019) [lire notre critique de l’ouvrage].

À lire aujourd’hui la notice du présent DVD, rédigée par Nizam Peter Keltaneh, mieux vaut oublier la légende (re)servie par Gounod, puisque le Parmesan n’a pu offrir à l’Allemand le sujet dont il rêvait. Beethoven débute sa propre Leonore en janvier 1804, à partir du livret de Joseph Sonnleithner, alors que Leonora ossia L’amore coniugale est créé à Dresde le 3 octobre 1804, et demeure méconnu à Vienne jusqu’en 1809. Pour remonter aux origines de l’unique opéra de Beethoven, esprit animé par des idéaux de liberté et de fraternité, mieux vaut explorer d’autres pistes. Par exemple, celle de son père ténor qui, en 1787, chante à Bonn dans Le déserteur (1769), l’opéra-comique de Pierre-Alexandre Monsigny qui va ouvrir la voie à un genre qu’on dira carcéral – on condamne un innocent mais la fin est heureuse. Ou encore celle des Deux journées ou Le porteur d’eau (1800), un livret admiré de Brouilly pour Luigi Cherubini, dans lequel il ne fait pas bon croiser les soldats de Mazarin.

Avant de s’appeler définitivement Fidelio après plusieurs remaniements, Leonore fut créé au Theater an der Wien, le 20 novembre 1805, dans une ambiance glaciale – complices de la folie napoléonienne, les militaires français sont dans la salle. C’est cette toute première version que l’on retrouve ici, donnée à New York en mars 2020 (Kaye Playhouse, Hunter College). Le décor de Laurence Mongeau (également aux costumes) nous est familier puisqu’il servit à la compagnie Opera Lafayette pour présenter Léonore de Pierre Gaveaux, en 2017 [lire notre critique du DVD].

Toujours mis en scène par Oriol Tomas – avec même un brin d’humour –, on retrouve l’excellent Jean-Michel Richer (Florestan), Pascale Beaudin (Marzelline) dont le soprano gagne en lyrisme avec la langue allemande, l’efficace Alexandre Sylvestre (Fernando) et Keven Geddes (Jaquino), toujours aussi bien projeté. On aime également le chant rond et mozartien de Nathalie Paulin (rôle-titre), celui corsé et incisif du baryton-basse Stephen Hegedus (Rocco), ainsi que l’ampleur de Matthew Scollin (Pizarro), dans une tessiture identique. En fosse, toujours soucieux de l’équilibre avec la scène, Ryan Brown offre une lecture plutôt grave et sévère de cette rareté [lire notre chronique du 18 avril 2020].

LB