Chroniques

par laurent bergnach

Luigi Cherubini
Medea | Médée

1 DVD Hardy Classic (2009)
HCD 4038
Luigi Cherubini | Medea

Les marins ne portent pas bonheur aux femmes ! Et la palette des douleurs s'avère étendue, entre l'agonie fulgurante que Purcell fit connaître à sa Dido et la souffrance – décrite par Euripide – de celle qui fut abandonnée pour la fille de Créon :

« Médée, l'infortunée et l'outragée, / invoque à grands cris les serments, la sainteté des mains unies, / prend à témoin la foi jurée et montre aux dieux / comment Jason la récompense. / Elle reste étendue, refusant de manger, toute livrée à la douleur, / et consumée par d'éternelles larmes, / depuis le jour où elle apprit qu'elle était rejetée. / Les yeux baissés obstinément, la face contre terre, / pas plus qu'un roc, qu'une vague marine, / elle n'entend ceux qui voudraient la consoler. »

C'est donc à bout de forces, sur un territoire hostile, qu'apparaît la princesse de Colchide, remplie d'une douleur digne face aux pantins bourgeois que lui oppose la mise en scène d’Hugo de Ana. Anna Caterina Antonacci – dont Yannis Kokkos vantait la modernité du jeu lorsqu'elle bâtit avec lui « ce personnage mystérieux violent, fragile, pathétique » à Toulouse, il y a quelques années [lire notre chronique du 22 mai 2005] – possède une intelligence du texte idéale et respecte le style de l'ouvrage tout en s'avérant expressive. Il faut ce talent, car si Medea tarde à entrer en scène – laissant d'abord la parole à Glauce, dans une ambiance de villégiature style Mort à Venise –, rappelons qu'elle porte à bout de bras tout le troisième acte, où la rage réveille son grave profond.

Sans être mauvais, ses partenaires n'atteignent pas la perfection. Ténor spinto typique enferré dans un vérisme anachronique, Giuseppe Filianoti (Giasone) se montre trop souvent brutal et grossier – son deuil final frisant le ridicule. L'agilité, la douceur et la couleur onctueuse de Cinzia Forte (Glauce) compensent une respiration assez usée pour une chanteuse jeune encore. Pour Sara Mingardo, c'est un problème de stabilité qui vient contrarier le chant sensible, coloré et magnifiquement phrasé qu'elle prête à Neris – attifée comme une servante sans goût, à qui on céderait de vieilles toilettes. Si Giovanni Battista Parodi (Creonte) nous paraît d'abord poussif et emprunté, c'est parce que sa voix ferme et grande prend du temps à s'épanouir. Enfin, Erika Grimaldi et Luisa Francesconi incarnent de fraîches servantes et Diego Matamoros un chef de la garde des plus vaillants.

À la tête de l'Orchestre du Teatro Regio de Turin, ce 5 octobre 2008, Evelino Pidò est impressionnant d'élégance et de vivacité, offrant un bel exemple de clarté italienne marbrée de folie. On le sait : à l'inverse de beaucoup de ses compatriotes, Luigi Cherubini se voulait proche du grand classicisme viennois et allemand (Haydn qu'il dirigea à Paris, Gluck, etc.) ; l'accentuation soignée du chef, sa dynamique sur le qui-vive, sont comme un écho aux grands opéras mozartien.

LB