Chroniques

par laurent bergnach

Mahler
film de Ken Russell

1 DVD Doriane Films (2014)
EDV 958

Nominé pour la Palme d’Or à Cannes en 1974, Mahler a remporté plus d’un prix dans les mois qui suivirent – celui de la technique, du meilleur scénario anglais et du meilleur espoir féminin. Cette biographie romancée du compositeur bohémien (1960-1911) est d’ailleurs considérée comme une grande réussite par Ken Russel lui-même (1927-2011), déjà l’auteur de The music lovers (La symphonie pathétique, 1971) qui mettait en scène les souffrances de Tchaïkovski [lire notre critique du DVD]. Pour avoir accouplé Histoire et fiction dans Clara, le soleil noir de Robert Schumann [lire notre critique de l’ouvrage], Christian Wasselin peut légitimement apprécier l’originalité du projet et écrire :

« ce film a quelque chose de mahlérien par ce mélange de tragique et de grotesque, par ce besoin de métaphysique et ce désir de légèreté, par cette volonté de tout embrasser, du brin d’herbe au cosmos, par cette obsession de l’enfance et bien sûr ce sens du collage et du choc des musiques qui, au cinéma, s’appelle tout simplement montage ».

Lorsque l’action démarre, Mahler ignore qu’il lui reste à peine quelques semaines à vivre. Malade, il a quitté New York et rejoint Vienne par le train, agacé par les bruits mécaniques et les manifestations de sympathie. Sur fond de crise conjugale, le voyage fait naître cauchemars symboliques (la chrysalide Alma, la mise en terre par sa femme et son amant) et souvenirs d’enfance (durant laquelle le jeune Gustav découvre inspiration et antisémitisme). Outre une fantasmagorie annoncée d’emblée par un clin d’œil à Visconti, le film offre une grande variété d’humour – anglais, juif ou burlesque, à l’instar de la scène de conversion religieuse en présence d’une Cosima Wagner nazifiée. Oserait-on aujourd’hui ?

Face au rôle-titre, interprété par Robert Powell, sa femme (Georgina Hale) apparaît moins comme une débauchée fantasmée que comme une musicienne dont les créations sont dévaluées. Son renoncement à l’art est une des scènes fortes du film, avec la visite à Hugo Wolf, perdu dans sa folie – anciens élèves de Bruckner à la classe d’orgue, Mahler avait partagé avec lui, un temps, le même appartement. Par Alma, nous approchons les difficultés de vivre avec un génie somme toute égocentrique.

Le militaire Max a-t-il existé ? Gustav avait-il un frère suicidaire ? Nous n’irons pas vérifier dans la biographie du créateur qui a séduit tant de chefs, d’Abbado à Rattle [lire notre critique du DVD], préférant ne pas aller à l’encontre d’un parti pris surréaliste et succomber au charme de ce tourbillon visuel et sonore qui porte bien ses quarante ans.

LB