Chroniques

par hervé könig

Marco Nodari
musique de chambre

1 CD Concerto (2015)
2096
La musique de chambre de Marco Nodari à travers sept pièces désuètes

Que fait Daniel Buren en 1985 lorsqu’il investit la cour d’honneur du Palais Royal, à Paris ? Les bandes strictes qui depuis vingt ans font sa signature, il les intègre à l’architecture du XVIIe siècle. Il fait de même une dizaine d’années plus tard à Lyon en aspergeant la place des Terreaux, ajoutant une nouvelle dimension au décalage historique déjà patent entre le Palais Saint-Pierre du tout début du XIXe siècle, l’Hôtel de Ville baroque et la fontaine du Colmarois Auguste Bartholdi, monument tout juste centenaire lorsque commence son Déplacement–Jaillissement. De quoi s’agit-il ? En surface, de mettre en valeur passé et présent en inscrivant l’acte esthétique du deuxième dans un geste qui saisit le premier ; en profondeur, c’est dépasser le temps.

Est-ce ce que fait Alban Bergen citant Bach dans le Concerto à la mémoire d’un ange ? Il n’a pas structuré son œuvre dans un tel but de mise en regard, et l’on n’en était pas encore à jouer avec la modernité, puisqu’on la vivait. Est-ce la démarche de Luciano Berio dans sa Sinfonia ? Non plus, s’agissant d’un postmodernisme englobant. Est-ce ce que fait Jörg Widmann en citant Schumann ou Mozart ? Toujours pas, ce dernier caressant chez l’auditeur ce dont il pourrait se souvenir jusqu’à croire qu’il ne s’en rappelle pas. Quant aux Italiens Salvatore Di Stefano et Marco Nodari, nés tous les deux en 1969 (l’un Piémontais, l’autre Lombard), leur nécessité de se tourner vers des techniques compositionnelles anciennes dépasse à grandes coudées le geste d’un Buren, puisqu’elle arrête le temps, en refus du sérialisme de l’entre deux guerres et des différents mouvements de la création musicale nés après 1945.

Notre confrère ne se trompait pas en concluant son article sur Di Stefano en considérant que sa musique soulevait « décidément bien des questions » [lire notre critique du CD]. Lorsque les compositeurs nord-américains écrivaient à la manière de, ils inventaient une musique étasunienne « classique » par le biais du néoclassicisme. Difficile de comprendre ce que font nos Italiens si férus de Bartók, de Ravel ou de Stravinsky qu’ils adoptent leurs procédés.

Plus éclectique encore semble l’inspiration de Marco Nodari.
Il y a quelque chose de Martinů et Roussel dans son Trio mediterraneo, bien morts pourtant lorsqu’il vint au monde, il y a quarante-sept ans. C’est d’autres chaussons qu’il enfile : ceux de la musique de divertissement, de la musique utilitaire comme l’est celle du cinéma. L’Intermezzo de ce trio aurait clairement sa place sur le grand écran. Son Finale use de la répétition, façon Michael Nyman – celui qui aurait presque fini par nous faire fuir les films de Peter Greenaway ! Autre trio, pour les mêmes instruments (violon, violoncelle et piano), Limen s’appuie sur un rythme régulièrement syncopé et une mélodie simple remâchée. Son intermezzo est une berceuse en tire-larmes témoignant d’un vrai savoir-faire. Le Finale s’invente un folklore. Dans les autres pièces au programme de ce CD, on reconnaît Mozart, comme en ces variations pour trio, Serenata notturna plutôt brillante, ou encore Vivaldi, etc. Le Largo espressivo de Ritratti (clarinette, violon et piano) appelle la chanson sentimentale.

Voilà un disque qui s’écoute comme une vile flatterie, une musique à laquelle on aura plaisir de recourir au volant, de nuit, quand le sommeil menace. Elle récupère ce qui fit la modernité il y a plus d’un siècle et l’accole à des harmonies blues et des rythmes presque jazzy. Sa façon s’inscrit en parallèle de la réaction dure de la néotonalité. C’est un bouquet un peu écœurant où tous les parfums se valent. Les instrumentistes ne déméritent pas : les violonistes Joel Bardolet Vilaró et Mirka Šćepanović, Alessio Pianelli au violoncelle, les flûtistes Sabrina Pisciali et Marco Zoni, Gregorio Artunghi à la guitare, l’altiste Yuko Hara, le clarinettiste Calogero Presti, Marco Scilironi au piano et Luisa Prandina à la harpe. Il faut néanmoins convenir avec le peintre que « ceci n’est pas une pipe »…

HK