Chroniques

par bertrand bolognesi

Maurice Ravel
pièces pour piano

1 CD Aparté (2020)
AP 225
Michel Dalberto joue Ravel en récital à la Fondation Louis Vuitton, avril 2019

S’il a somptueusement magnifié les sonates de Schubert, s’il s’est engouffré avec bonheur dans la virtuosité lisztienne, dans l’intimité mozartienne ou les tourments schumaniens, Michel Dalberto n’en est pas moins admirateur fervent et défenseur convaincu de la musique française. De fait, le label Aparté s’est lancé dans la captation de récitals exclusivement dédiés aux compositeurs français, ces enregistrements venant nourrir le projet Michel Dalberto Live | Fauré-Franck-Debussy-Ravel. Après Claude Debussy joué sur un lumineux Fazioli au Teatro Bibiena mantouan au printemps 2015, Gabriel Fauré sur un Bechstein idéalement sévère en janvier 2017 au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, enfin César Franck (né belge, certes, mais fait français en 1870, ce qui garde figure de détail face à son implication extrême dans le paysage musical français de son temps) à la Salle Philharmonique de Liège sur un idéal Bösendorfer, à l’automne 2018, et en compagnie du Quatuor Novus, le pianiste revient à Maurice Ravel.

Le programme donné le 11 avril 2019 en l’Auditorium de la Fondation Vuitton se concentre sur quatre opus composés entre 1903 et 1911 pour lesquels l’artiste met à contribution la clarté particulière d’un Steinway préparé par Denijs de Winter. Ainsi redécouvrons-nous la Sonatine en fa# majeur, commencée juste après le Quatuor à cordes et contemporaine du cycle mélodique Shéhérazade. Dans la notice du CD, Michel Dalberto précise qu’il s’agit de la première œuvre ravélienne qu’il a travaillée, à peine adolescent à la fin des années soixante, dans la classe de Vlado Perlemuter, témoin et transmetteur précieux. Aux papillonnements ténus du premier mouvement (Modéré) succède un Menuet d’une élégante sobriété, au lyrisme aimable, puis une frémissante conclusion, Animé rondement mené, certes, mais encore fort évocateur d’une poésie vigoureuse et non dite.

Avec trois extraits des Miroirs, le musicien nous entraîne vers des audaces harmoniques plus radicales et des couleurs complexes. Oiseaux tristes pépie d’un désespoir rentré. Dalberto manie adroitement les étoffes de la danse avec Alborada del gracioso qui, sous ses doigts, paraît facile – ô combien redoutable, pourtant, pour les notes répétées, le chemin de nuance, l’accentuation et les choix de pédalisation, sans parler de l’exigence technique pure. Plus miraculeuses encore, les secrète strates de La vallée des cloches – n’en déplaise au pianiste, osons dire qu’il ne s’agit plus ici de piano mais autant des timbres de l’orchestre que des pigments du peintre.

Le 9 janvier 1909, Ricardo Viñes crée à Paris Gaspard de la nuit, sorte de fantaisie en trois chapitres qui puise son inspiration dans le recueil éponyme du poète romantique Aloysius Bertrand. Avec ses contrastes puissants, l’œuvre flirte avec une esthétique fauviste, ce dont rend pleinement compte l’Ondine savamment déployée par Dalberto. Une sensualité presque nauséeuse habite son interprétation du Gibet, éros-thanatos hypnotique – fascinantes mandragores… aux pirouettes de Scarbo, méchant à souhait, de virevolter ensuite, déraisonnables comme un diable, au fil de cette lecture sulfureuse qui invite ingénieusement Maldoror. Voilà ce que ne laissait pas supposer le début du récital avec les Valses nobles et sentimentales, certes volontiers cordiales, voire musclées. Là, nous rencontrons le Ravel du théâtre, celui de Daphnis et Chloé comme de L’heure espagnole. Michel Dalberto les saupoudre de juste ce qu’il faut de sucre, mais sans Schlagsahne – tant mieux.

BB