Chroniques

par hervé könig

Max Deutsch
Der Schatz | Le trésor

1 CD CPO (2005)
999 925-2
Max Deutsch | Der Schatz

Dans l'histoire du cinéma allemand (très riche à ses débuts), Georg Wilhelm Pabst fut l'un des premiers grands noms, ne serait-ce que pour le mythique Loulou (1929) qui immortalisa Louise Brooks. Son style tout d'abord romantico-impressionniste s'orienta vers une représentation réaliste du monde – Le Journal d'une fille perdue (1929) ou La Tragédie de la mine (1931) – qui lui assura une reconnaissance internationale. Beaucoup de ses scénarios s'inspirèrent d'œuvres littéraires : L'Opéra de quat'sous (1931), Don Quichotte (1933), Le Procès (1948), etc. Hans Bartsch n'a pas la renommé de Brecht ou Kafka, mais il fut populaire en son temps. Der Schatz (Le Trésor) fut tourné en 1922 d'après une de ses nouvelles, servant de parabole au contexte social difficile d'après-guerre.

Dans une vieille fonderie slovène, Svetocar Badalic vit avec son épouse, sa fille Beate et son ouvrier Svetelenz. Le vieux maître rappelle la légende d'un trésor qu'aurait abandonné les Turcs en 1684, quand ils dévastèrent le pays. Dans l'espoir d'épouser Beate, Svetelenz se met à sa recherche. Mais c'est Arno, un jeune orfèvre de passage venu décorer une nouvelle cloche fondue, qui va gagner le cœur de la jeune fille et découvrir une cavité dans le trumeau central de la maison. On y trouve effectivement un coffre rempli de pièces et de bijoux. Les parents rachètent la part de Svetelenz en échange de Beate, mais celle-ci parvient à s'enfuir avec l'orfèvre. Rendu fou furieux, l'ouvrier s'attaque au pilier qui servait de cachette, déclenchant un effondrement infernal sur les trois occupants demeurés là.

Au premier film d'un réalisateur répondait la première symphonie écrite expressément pour le cinéma, signée Max Deutsch. Né à Vienne en 1892, mort à Paris en 1982, le compositeur fut élève puis assistant occasionnel d'Arnold Schönberg. Lorsque survient cette commande, il dirige encore des opérettes mais va bientôt s'installer en France et y faire découvrir certaines œuvres de l'École de Vienne, et créer le théâtre Der jiddische Spiegel et Les Grands Concerts de la Sorbonne. Il travaillera surtout comme professeur, transmettant aux élèves parisiens les théories du dodécaphonisme.

Sa symphonie Der Schatz se voulait une œuvre d'art à part entière. Aussi certains spécialistes en ont-ils soulignés la densité d'écriture, l'utilisation du leitmotiv qui met en relief les subtilités de l'action, une musique qui « reste plate durant de longs moments », et commente le film plutôt que de se contenter de l'accompagner. Chacun des ses cinq actes forme un tout homogène. La partition, remise au Deutsches Filmmuseum de Frankfurt peu avant la mort de son auteur, est un des rares documents originaux hérités du muet. Mais lors de la restauration du film en 1999, on retrouva un papier rongé par l'acidité. Frank Strobel – attaché à la redécouverte d'œuvres de Schreker, Zemlinsky, Schnittke, etc. – dut restaurer l'œuvre, tantôt en la reconstruisant, tantôt en pratiquant des coupures pour respecter le synchronisme d'une projection d'un matériau dont certaines séquences étaient elles-mêmes perdues. Il a ainsi mis à jour deux versions : une version cinématographique et une version de concert d'une heure et quart, présentée ici.

Certes, l'intérêt d'un document sur cette période de l'histoire du cinéma n'est pas négligeable ; mais la facture de Deutsch ne va guère au delà. On y entend des motifs empruntés à Zemlinsky, à Schönberg, bien sûr, mâtinés de clins d'œil straussiens lorgnant eux-mêmes parfois vers Mendelssohn. Bref, il semble que le compositeur ait parfaitement compris, dans ces années-là déjà, que le public des salles obscures ne verrait aucun inconvénient à entendre une sorte de collage de tout ce qui s'était fait dans les trente dernières années dans le domaine de la musique savante. On y trouvera quelques citations de La mer de Debussy, des Funérailles de Liszt, ou encore l'appel de trompette du début de la Cinquième de Mahler, les trois accords d'Elektra, sans compter l'évidente omniprésence du Pelléas et Mélisande de Schönberg. Du coup, c'est presque à un jeu de devinettes que l'on peut s'adonner en écoutant ce disque !

HK