Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Nikolaï Lugansky
Verbier Festival (2008)

1 DVD Medici Arts (2009)
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récital Lugansky au Verbier Festival (2008)

Ce 28 juillet 2008, lors de la quinzième édition du Verbier Festival, Nikolaï Lugansky offrait une belle variété de climats, avec cinq compositeurs au programme. Parmi d'autres mélomanes, notre collaborateur Bertrand Bolognesi a assisté au récital qui fait donc l'objet, un an plus tard, d'un précieux document filmé. Voici quelques extraits de ce qu'il en disait alors :

« Après sa belle prestation de la veille dans le Trio élégiaque de Rachmaninov [lire notre chronique], Nikolaï Lugansky ouvre son récital par la Sonate « 1.X.1905 » en mi bémol majeur de Janácek. […] Certes, l'indignation – ressentie à la mort de František Pavlík lors de la répression par les troupes autrichiennes de la manifestation des étudiants réclamant l'ouverture d'une université nationale à Brno – est largement présente dans son interprétation, mais il y manque l'insaisissable de la jeunesse toujours juste dont Janácek a discrètement tissé le mouvement. Bref, Lugansky se contente d'un premier degré. La désolation de La mort lui convient mieux.

[…] Dans les pièces extraites du Roméo et Juliette de Prokofiev, Nikolaï Lugansky retrouve un élément familier où il se meut comme un poisson dans l'eau. […] Avec une texture profondément travaillée, le Jeu de masques prend une dimension plus orchestrale à laquelle répond énergiquement Les Montaigus et les Capulets, furieux comme un fleuve en période de mousson, quoiqu'arborant une partie plus intimiste aux variations imaginatives. À la grande et belle égalité d'humeur de Frère Laurent succède la lumière vénéneuse de Mercutio et la virevolte de la Danse des jeunes filles antillaises, tandis que Lugansky excelle dans la ballade hésitante, d'une douceur indicible, de Roméo et Juliette avant la séparation dont on goûte la préciosité des alliages, l'orchestration raffinée des climats. Le danger et la peine surviennent peu à peu, dans le troublant ostinato, énigmatique.

Toute la seconde partie se consacre à la musique de Liszt. Et c'est là que le pianiste donnera toute sa mesure. Inspiré dès les premiers pas, avec une verve romantique d'une fine poésie, Sposalizio (Années de pèlerinage / Italie) laisse entendre Scriabine dans la suspension de ses récitatifs, sous ses doigts. À d'autres moments, c'est une passementerie organistique qui se laisse écouter, dans un halo pré-symboliste, subtilement bigarré. […] On l'aura compris : Nikolaï Lugansky met ici la virtuosité au service de la musique, et non l'inverse ; les quatre extraits des Etudes d'exécution transcendante finiront de nous en convaincre.

[…] Dans une forme éblouissante, l'artiste offre quatre bis, partagés par Chopin et Rachmaninov avec le Prélude Op.23 n°5 de ce dernier, dont l'insoutenable martellement obstiné rencontre l'élégie du centre en une mélancolie plus tourmentée encore, se questionnant sur la résurrection dont les cloches sonnent la tragique impossibilité. De notre semaine à Verbier cette soirée fut sans conteste la plus belle. »

BB