Chroniques

par laurent bergnach

Nikolaï Rimski-Korsakov
Золотой Петушок | Le coq d’or

1 DVD TDK (2004)
DV-OPLCO
Nikolaï Rimski-Korsakov | Le coq d’or

De la ville invisible de Kitège au Royaume aquatique de Sadko, de la Fille des neiges au Tsar Saltan, le merveilleux domine la production lyrique de Nikolaï Rimski-Korsakov. Le Coq d'Or, sur un livret de Vladimir Bel'sky – d'après un conte de Pouchkine, écrit en 1834 –, ne démentira pas cette évidence.

Créé à Moscou le 7 octobre 1909, l'histoire en trois actes est celle du Tsar Dodon, fatigué des combats, qui passe un marché avec un Astrologue. Celui-ci remet au tsar un coq d'or magique qui chantera lorsque le royaume sera menacé, le laissant dormir en paix tant qu'il restera silencieux. L'Astrologue préfère attendre pour choisir sa récompense promise en échange. À la suite de ses deux fils – qu'il retrouvera entretués sur le champ de bataille –, le Tsar part finalement à la guerre. Il découvre une tente mystérieuse abritant une jeune femme étrange, la Reine de Chemakha. Contre toute apparence, elle déclare être en guerre : « pour vaincre, on n'a pas besoin d'armée. Par ma beauté seule, je peux vaincre tout le monde ». Effectivement, elle réduit Dodon en esclavage et tous deux partent vers la capitale en vue du mariage. De retour au palais, le Tsar retrouve l'Astrologue qui vient réclamer son dû : la Reine de Chemakha. Plein de courroux, Dodon ne lui offre que la mort. Le coq arrive alors et, d'un coup bec doré, frappe le crâne de l'assassin. Après le Prologue où l'Astrologue venait prévenir le public que cette histoire comportait une morale, il revient dans un bref Epilogue demander qu'on ne s'attriste pas de tout cela, que seuls la Reine et lui sont mortels et que tout le reste n'est que rêve.

Écrite peu après la guerre russo-japonaise pour la reconquête de la Mandchourie et la débâcle de son pays en 1906, cette satire de l'incompétence militaire, de la stupidité des gouvernants et de la corruption politique (le Tsar n'offre pas ce qu'il a promis...) a rencontré la censure. Les disputes sur le matériau de divination approprié, le départ à la guerre du souverain avec son bouclier rouillé, l'affreuse chanson d'amour qu'il aura à chanter plus tard à sa belle sont autant d'exemples de l'humour et du ridicule qui parsèment l'œuvre. Disparu en 1908, Rimski-Korsakov ne verra pas se monter son dernier opéra – toutefois largement modifié pour être accepté. « Les contes sont des mensonges, mais ce qu'ils suggèrent est plein d'enseignements pour les âmes vaillantes... »

Cette production est le fruit d'une collaboration de 1984 entre le Théâtre du Châtelet et l'Opéra de San Francisco ; le film en a été réalisé lors des reprises de l'hiver dernier. La mise en scène est signée Ennosuke III. Né en 1939, il fait partie d'une des plus grandes lignées d'acteurs de Kabuki. Il a su adapter cet art théâtral traditionnel au public moderne, tout en recherchant l'énergie et l'enthousiasme du Kabuki d'Edo (1600-1868). Les effets spéciaux (les apparitions-disparitions de l'Astrologue par des trappes), les éclairages savants (le coup de canon devant la tente), les costumes somptueux viennent animer des décors minimalistes, et le spectateur est sous le charme, d'autant que la distribution est quasiment parfaite – parties dansées et gestuelle comprise.

Rimski-Korsakov avait écrit la partie de l'Astrologue pour un type de voix assez rare, le ténor altino. Ici, la voix particulière de Barry Banks, entre le corsé et le métallique, présente et retenue, fait merveille après un petit temps d'échauffement. Albert Schagidullin prête sa voix puissante et un rien caverneuse au Tsar Dodon. Olga Trifonova, à la voix très cristalline, inquiète tout d'abord par sa technique impeccable qui laisse peu de place à l'émotion. On en revient vite car c'est un des personnages les moins impassibles de la production ; ses minauderies rusées sont un délice. Le baryton Andreï Breus, en Prince Afron, s'en sort nettement mieux que le ténor Ilya Levinsky, son frère aîné. Enfin, rien à redire à la prestation de Yuri Maria Saenz qui incarne un coq d'or vaillant et inquiétant, aux interventions presque mécaniques. Kent Nagano dirige sans faiblesses l'Orchestre de Paris. Le Chœur brillant est celui du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg.

LB