Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Regards sur Debussy

Fayard (2013) 582 pages
ISBN 978-2-213-67258-8
ouvrage collectif | Regards sur Debussy

Du 2 au 5 février 2012, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de sa naissance, une quarantaine de spécialistes ont investis quelques lieux parisiens pour un colloque international Claude Debussy (1862-1918). Une grande partie de ces communications font aujourd’hui l’objet d’un ouvrage qui ne manque ni d’intérêt ni d’ambition puisque, comme l’écrivent Myriam Chimènes et Alexandra Laederich qui encadraient ces rencontres, « de l’étude de la figure du personnage, dans ses dimensions politique, sociale et littéraire, à celle de la réception, de la postérité et de l’influence de sa musique, en passant par l’examen de ses procédés de composition, l’analyse spécifique de certaines de ses œuvres et l’écoute de ses propres enregistrements, il résulte un corpus de textes constituant un éventail significatif de l’état actuel de la recherche debussyste et ouvrant de nouvelles perspectives ».

Première des cinq parties du livre, Politique et littérature (avec Annette Becker, Philippe Gumplowicz, Pascal Ory, Timothée Picard, Christophe Prochasson et Jean-Yves Tadié) s’attache à un compositeur curieux de découvertes (Bali, cake-walk, Moussorgski, etc.) qui, dès 1903, affiche sa défense de la clarté française contre la dégénérescence allemande – au point de fustiger d’Indy, « l’esprit le plus bochard qui soit, sans parler des autres ! » (14 octobre 1915). La Première Guerre mondiale met un terme au temps où l’on serrait la main « des commis-voyageurs du monde entier » et Rameau, des années après Lassus et Palestrina, devient le guide intime d’un nationalisme de crise. Ennemi aussi du naturalisme à la Charpentier, Debussy inspire les écrivains, mais aussi les faiseurs de lieux communs.

À sa suite, Théâtre et mélodies (Gianmario Borio, Matthew Brown, Michela Niccolai, Adrien Bruschini, Jean-Louis Leleu, Jonathan Dunsby, Marie Rolf, Marianne Wheeldon) met en présence la poésie de Maeterlinck et le théâtre wagnérien (via un ouvrage d’Adolphe Appia), la noirceur de Poe et les lumières de Carré à la création de Pelléas, avant d’analyser quelques pièces vocales (Tombeau des naïades, Colloque sentimental, Chansons de Charles d’Orléans), partitions à l’appui. Essentielle, Interprétations (avec Élizabeth Giuliani, David Grayson, Roy Howat, Mylène Dubiau-Feuillerac, Marie Duchêne-Thégarid, Diane Fanjul, Gianfranco Vinay) aborde la notion de legs et du respect de la partition, à travers un tour d’horizon des enregistrements laissés par le compositeur (avec une Mary Garden surprenante, dès 1904) et un enseignement honteusement chaotique au Conservatoire.

Penser la composition (Paolo Dal Molin, Julien Dubruque, Michael Fend, Laurent Feneyrou, Richard Langham Smith, Jean-Louis Leleu, Jean-Claire Vançon) s’intéresse aux brouillons et titres des œuvres, met en relief « ramisme mesuré » et influences orientales, et s’inquiète de ce qu’Ernst Kurth (théoricien) et Jean Barraqué (compositeur) ont écrit sur le créateur. Enfin, Réception et héritages (François Anselmini, Yves Balmer, Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Mauro Fosco Bertola, Malika Combes, Justine Comtois, Sylvia Kahan, Barbara L. Kelly, Christopher Murray, Michel Rapoport, Nicolas Southon, Renatata Suchowiejko) passe en revue quelques personnalités debussyennes (Cortot, Prunières, Schaeffner, Vallas, Vuillermoz), puis l’accueil réservé au « nouveau langage musical » par certains pays à l’époque (États-Unis, Pologne, Angleterre, Italie) et par nos contemporains (Messiaen, Takemitsu, Xenakis).

Ces trente-six articles – dont seul un trio surestime les capacités intellectuelles du lecteur moyen –, amènent-ils à clore le Dossier Debussy ? Certes non car, comme le rappelle Pierre Boulez dans sa préface aiguisée, certaines questions se justifient toujours qui défient les musicologues en herbe : « y a-t-il plus de classicisme dans En blanc et noirque dans les Sonates ? Que cela a-t-il à voir avec le néoclassicisme plus tardif de Ravel, de Stravinsky ou de Schönberg ? […] Pourquoi Debussy compose-t-il tout à coup Ibéria ? Est-ce une référence à la tradition, à Chabrier en particulier ? Pourquoi choisit-il un thème écossais et compose-t-il la Marche écossaise ? […] Le problème n’est pas résolu ».

LB