Chroniques

par laurent bergnach

Pancrace Royer
Pyrrhus

2 CD Alpha (2013)
953
Pancrace Royer | Pyrrhus

Lorsqu’il meurt à Paris le 22 mars 1687, un peu plus d’un an après la première représentation d’Armide [lire notre chronique du 18 septembre 2010], Lully laisse inachevé Achille et Polyxène, opéra dont Jean Galbert de Campistron composa le livret. Durant le demi-siècle qui suit, l’Académie royale de musique voit ce succéder une vingtaine de tragédies lyriques mettant en scène des épisodes de la guerre de Troie – emblématique de cet engouement, Henry Desmarest écrit Didon (1693), Circé (1694) et Iphigénie en Tauride (1704) –, jusqu’à la création du Pyrrhus qui nous intéresse aujourd’hui, sur un texte de « Monsieur Fermelhuis », le 26 octobre 1730.

Disons-le d’emblée, le personnage principal de l’ouvrage n’est pas le fils d’Achille et de Déidamie mais Polyxène, fille de Priam et d’Hécube. Moins connue qu’Hélène, Cassandre et Didon, la princesse troyenne dont Achille tomba amoureux retint pourtant l’attention de nombreux écrivains (Sophocle, Boccace, Behourt, Courgenay, Molière d'Essertines, Corneille, La Fosse, etc.) et, jusqu’à l’époque romantique, celle des musiciens Collasse (Polyxène et Pyrrhus, 1706), Dauvergne (1763) ou encore Gouvy (1894).

Claveciniste apprécié, répétiteur et souffleur, ainsi qu’auteur des opéra-comiques Le fâcheux veuvage (1725) et Crédit est mort (1726), Joseph Nicolas Pancrace Royer (né à Turin en 1703, mort à Paris en 1755) s’essaye donc à un genre nouveau pour lui. Un mois avant la présentation de l’ouvrage en cinq actes chanté par Chasé de Chinais, Pelissier, Tribou et Antier, le directeur de l’Académie André Cardinal, dit Destouches, en juge ainsi, avec son expérience de compositeur d’Omphale (1701) et de Callirhoé (1712) :

« on me mande qu’on repete un opera nouveau intitulé Pirrhus, j’en connois les morceaux de musique. Il est d’un nommé Royer aagé de vingt-cinq ans, qui a cet aage fait preuve de science et de talent. Ce que j’en ay entendu m’a paru bon et d’un gout nouveau ; mais un opera a des branches si étendues, et tient a tant de cotez, qu’il est impossible d’en prévoir le succez » (lettre au prince Antoine I de Monaco, 25 septembre 1730).

S’il a conduit à l’insuccès de Pyrrhus (seulement sept représentations), ce « gout nouveau » pétri d’innovation (complexité, leitmotive, influence italienne, etc.) n’a pas rebuté les acteurs de cet enregistrement réalisé dans la Salle des Croisades du Château de Versailles, en septembre 2012. Avec une agréable tendresse de ton et un bondissement bien plus habité qu’une simple danse aimable, Michael Greenberg y dirige Les Enfants d’Apollon, dont on goûte particulièrement les bois (Acte I, scène 2) flanquant l’unique trompette, bien utile pour les échos guerriers (Acte II, scène 4).

Emmanuelle de Negri (Polyxène) s’avère expressive et convaincante ; ses quelques miaulements sont peu de choses en comparaison des instabilités et imprécisions de Guillemette Laurens (Eriphile). D’une diction et d’une présence magnifique, Alain Buet (Pyrrhus) s’avère charnu et ciselé, tandis que Jeffrey Thompson (Acamas) séduit par sa santé, ses nuances et un art de la déclamation qui sait prendre son temps. Parmi les qualités de choristes incarnant des petits rôles, nous avons apprécié la chaleur de Nicole Dubrovitch (Ismène, Thétis) et le chant bien conduit de Virgile Ancely (Mars).

LB