Chroniques

par laurent bergnach

Paul Hindemith
Cardillac

1 DVD Deutsche Grammophon (2007)
00440 073 4324
Paul Hindemith | Cardillac

« Si seulement j'avais un livret, je composerais en quelques semaines le plus grand des opéras » écrit Paul Hindemith (1895-1963) en septembre 1923. Imaginée dans l'idéal avec Bertolt Brecht, Franz Blei ou encore Romain Rolland, la collaboration du musicien se déroule finalement avec Ferdinand Lion, écrivain et essayiste alsacien qui propose d'adapter l'histoire de l'orfèvre Cardillac, archétype du créateur travaillant comme un possédé dans son atelier. Ainsi naît le mariage entre Hindemith, avocat de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit), et Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, parangon du romantisme. D'un langage néobaroque et austère, l'ouvrage est créé au Sächsisches Staaatheater de Dresde le 9 novembre 1926, sous la baguette de Frisch Busch, puis redonné deux semaines plus tard à Wiesbaden, par Otto Klemperer. C'est le triomphe, avant la mise à l'écart organisée par le régime nazi. Entre 1948 et 1952, le compositeur livre une seconde version de l'opéra fortement remaniée, mais sans lui accorder sa préférence définitive.

Peu après la sortie chez Bel Air Classiques [lire notre critique du DVD], Deutsche Grammophon propose une production plus ancienne du Bayerische Staatsoper, filmée en septembre 1985. Ces parutions rapprochées confirment les imperfections de la première. Contrairement à André Engel qui reconnaît volontiers ses lacunes – « Je n'ai aucune culture musicale, je ne sais pas lire une partition, je ne connais pas toujours les opéras que je mets en scène » (in Télérama n° 2907 - 28 septembre 2005) –, Jean-Pierre Ponnelle a une approche plus solide. « Je trouve la première version musicalement plus insolente, plus juvénile, plus agressive, dit-il. Elle correspond en outre beaucoup mieux au contexte de l'époque. Hindemith, que l'on considère généralement comme un musicien sévère, se rapproche ici de Kurt Weill ». Assurément, la mise en scène a compris la musique et, là où Nagano force le trait, Wolfgang Sawallisch se soumet au chant, avec élégance et humour.

Dans un univers cohérent qui mêle XVIIIe siècle (costumes, carrosses) et années vingt (références au cinéma muet), une foule anonyme aux visages sans personnalité rêve de sang, tant la peur occupe les esprits. Puisqu'il ressemble à tout le monde, le meurtrier échappe à cette force collective plus apte à condamner qu'à comprendre, et il faudra qu'il se dénonce pour y succomber. La vindicte populaire laisse place à une scène d'alcôve, dont la pantomime et l'érotisme ne seraient pas reniés par Fellini. Nous découvrons enfin l'atelier de Cardillac, dont les fenêtres biscornues projettent des toiles d'araignée ombreuses, juste au-dessus de vitrines aux allures de cercueil de verre. Le côté expressionniste, voire horrifique est certes souligné, mais teinté d'une féerie digne des frères Grimm.

Précédés par un Chœur assez flou, les personnages secondaires s'expriment tout d'abord. Josef Hopferwieser (le Cavalier) s'avère un ténor au timbre clair, incisif et vaillant tandis que Doris Soffel (la Dame) multiplie les qualités : à un organe ayant corps, chaleur, rondeur et souplesse s'ajoute une présence scénique qui transcende même le ridicule vestimentaire. Donald McIntyre incarne le rôle-titre avec nuance. Si le chant n'est pas toujours très net, un visage sympathique vient équilibrer la noirceur du Maudit. Maria de Francesca-Cavazza (sa fille) possède une voix fatiguée dans le médium, mais un aigu éclatant. Robert Schunk est un Chevalier brillant. Hans Günter Nöcker (le marchand d'or), sous le maquillage vieillissant, se révèle clair, ferme et expressif. Une parution à applaudir !

LB