Chroniques

par laurent bergnach

Philippe Hurel
Les pigeons d’argile

1 DVD éOle Records (2015)
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Tito Ceccherini joue Les pigeons d'argile (2014), un opéra de Philippe Hurel

Choqués par les crimes sanglants de la Manson Family à la veille des années soixante-dix, les Américains vont découvrir d’autres gangs parés à imposer par la force une idéologie bancale. Parmi ceux-ci, on compte la Symbionese Liberation Army (SLA), un mouvement d’extrême gauche qui n’atteindrait jamais la quinzaine de membres et se distingue, entre 1973 et 1975, par toutes sortes de violences – braquages, meurtres et séquestration. Cette dernière concerne Patricia Campbell Hearst, riche héritière enlevée le 4 février 1974, sur le campus de Berkeley, dans le but de servir de rançon contre des amis incarcérés. L’échange refusé, les ravisseurs exigent que les parents Hearst pourvoient en nourriture les pauvres de Los Angeles. Finalement, victime d’un lavage de cerveau plus ou moins accepté, la jeune fille dénonce les valeurs de la vie bourgeoise et participe à des actes qui lui vaudront vingt-et-un mois de prison, suite à son arrestation, en septembre 1975. Épouse et mère de famille, Patty Hearst apparaît désormais comme actrice dans les films de John Waters – le pape du trash !

Inspirés par un fait divers éclairant à merveille le syndrome de Stockholm, Philippe Hurel (né en 1955) et Tanguy Viel (né en 1973) abordent tous deux leur premier opéra avec l’envie de s’amuser. Le musicien voulait « un livret qui aille vite, comme un roman policier », l’écrivain peindre une héroïne « tiraillée entre l’utopie du changement, de la révolution, et en même temps la vie simple, l’amour, les choses comme elles sont ». Ouvrage en un prologue et trois parties, dont le titre évoque le leurre et la fragilité, Les pigeons d’argile est créé au Théâtre du Capitole de Toulouse le 15 avril 2014 [lire notre chronique du 18 avril 2014 et notre entretien avec le compositeur].

Sur un plateau tournant divisé en plusieurs zones perméables (maison, voiture, parc, banque, etc.), Mariame Clément y met en scène six chanteurs et un chœur maison. Parmi les anciens, Sylvie Brunet-Grupposo (Chef de la police) et Vincent Le Texier (Bernard Baer) s’avèrent efficaces, Gilles Ragon (Pietro) plus inégal. Chez les plus jeunes, on apprécie l’engagement de Gaëlle Arquez (Charlie), la voix chaleureuse et profonde d’Aimery Lefèvre (Toni) mais aussi l’agilité de Vannina Santoni (Patricia Baer), doublée d’une justesse mémorable. Remarquable est de même la lecture de Tito Ceccherini en fosse, chef exigeant à qui l’on confie souvent la musique de Sciarrino [lire nos chroniques du 18 mars 2013 et du 23 mai 2007, ainsi que notre critique du CD Lohengrin].

Malgré ces atouts, le spectacle désole pourtant bien avant l’Acte II : loin de « questionner notre société, ses failles humaines et morales » comme le promet la jaquette du DVD, musicien et librettiste ne se montrent pas à la hauteur du sujet, lequel est politique avant d’être sentimental. Viel livre un texte bavard, explicite et souvent incohérent (le retard à fuir la planque à l’approche de la police, Charlie devant la banque au lieu d’être sous les verrous), qui ne trouve pas la bonne distance avec l’histoire originelle et valorise des éléments cinématographiques (course-poursuite, braquage) au détriment de la psychologie de caractères brossés à gros traits. En écho à cette désinvolture, Hurel écrit une musique complexe mais monocorde, hérissée d’une écriture vocale au pathos désolant que surligne la mise en scène. Dès lors, on peine à définir ce résultat calamiteux : opérette spectrale ou mélo’ néo-vériste ?

LB