Chroniques

par laurent bergnach

Philippe Olivier
Pierre Boulez – Le Maître et son marteau

Hermann Éditeurs (2005) 312 pages
ISBN 2-7056-6531-5
Pierre Boulez – Le Maître et son marteau

« Jamais, dans l'histoire de la musique de notre pays, un créateur sonore ne cumula autant de dons ». Dès l'introduction de son ouvrage, Philippe Olivier rappelle à ceux qui en doutaient que Pierre Boulez n'est pas seulement, aujourd'hui, le musicien français le plus célèbre de par le monde, mais qu'il y a certainement de bonnes raisons à cela. Pourtant, comme le créateur eut du mal à être prophète en son pays ! En 1959, lassé de l'immobilité de ses compatriotes, des moyens qu'on lui refuse, d'une radio qui ronronne, il part s'établir à Baden-Baden – avant de s'adapter avec aisance au monde anglo-saxon.

Dans un travail qui ne se veut pas exhaustif vu la proximité du sujet, l'auteur analyse combien, à des lieues de l'esthétique du Groupe des Six, les sympathies artistiques de Boulez parurent suspectes dans l'immédiate après-guerre – des siècles de catholicisme, des décennies de germanophobie n'arrangeant rien (comme le prouve cet article Adieu donc, Herr Boulez ! écrit en... 1966). Dès lors, la France officielle, celle qui s'oppose aux initiatives individuelles, aux courants spontanés, cherche à éloigner un ingrat, sinon un traître, des postes à responsabilité, voire de la vie musicale tout court. L'ennemi a plusieurs visages, et on sait les heurts fréquents avec Marcel Landowski ou André Jolivet. Le Marteau sans Maître (1955) est donc créé outre-Rhin, ainsi que Pli selon pli (1962).

Boudé comme jamais chez nous, Boulez est reconnu dans un pays qui lui offre de diriger, pour la première fois en 1966, à Bayreuth, puis accueilli de façon permanente à Londres (1969) et à New York (1971). Personnalité devenue incontournable, le prestige culturel international de la France passe désormais par la valorisation du musicien ; l'Ircam peut voir le jour, mais le replace au centre de tirs bien nourris. La seconde partie du livre, Germania, explique finement l'adoption allemande et la méfiance autrichienne.

À suivre ce récit d'un exil vécu, avec le recul, comme une chance, on ne peut qu'approuver et rire des multiples saillies du compositeur contre les livrets traduits, le chauvinisme et ces fonctionnaires qui ont mis au tapis de moins résistants que lui. On y retrouve également ses combats autour de l'Orchestre de Paris, du Festival d'Automne, de l'opéra Bastille, etc. Au final, on espère que le lecteur sera convaincu que notre amateur de coupés Mercedes est « un tendre refoulant avec un contrôle de soi hors du commun les déferlements de sa propre sensibilité ».

LB