Chroniques

par laurent bergnach

Pietro Antonio Cesti
La Dori | Dori

1 DVD Naxos (2020)
2.110676
Ottavio Dantone joue "La Dori" (1657), opéra vénitien de Pietro Antonio Cesti

À l’instar de Francesco Cavalli (1602-1676), le moine franciscain Pietro Antonio Cesti (1623-1669) contribue au succès de l’opéra vénitien, à la différence qu’il favorise, lui, son essor par-delà les Alpes. En effet, en 1652, après avoir chanté dans Il Giasone (1650) de l’aîné puis présenté son propre Alessandro vincitor di se stesso (1651), il est nommé maître de chapelle de la Chambre de l'archiduc Ferdinand-Charles d'Autriche, à Innsbruck. Plusieurs ouvrages d’importance naissent alors, tels La Cleopatra (1654), adaptation de son Cesare amante réalisée pour l'inauguration de la Komödienhaus, L’Argia (1655) qui célèbre la conversion au catholicisme de la reine Christine de Suède, ou encore Orontea (1656).

En 1657 naît La Dori, un dramma musicale en trois actes écrit d’après le livret du fidèle Giovanni Filippo Apolloni – natif d’Arezzo, tout comme le musicien –, et qui va rencontrer un vif succès durant la fin du XVIIe siècle, si l’on considère la trentaine de productions européennes présentées en moins de quatre décennies. Avec ses divers sous-titres – L’esclave chanceuse, L’esclave royale, etc. –, l’œuvre conte l’heureux dénouement des misères de Dori, princesse de Nicée jadis enlevée par des pirates, et qui apparaît ici sous les traits masculins d’Ali, ayant quitté l’Égypte pour Babylone. Elle y retrouve Oronte, prince de Perse dont elle est amoureuse et qui se lamente de la croire perdue, l’oncle de celui-ci nommé Artaserse, son propre tuteur Arsete et, surtout, sa sœur Arsinoe. Cette dernière est promise à un Oronte indifférent mais désirée secrètement par le prince égyptien Tolomeo qui, déguisé en jolie Celinda, trouble Erasto, le capitaine de la garde. La vieille nourrice Dirce, le serviteur Golo et l’eunuque Bagoa participent aux interludes comiques qui tranchent avec le désespoir amoureux du couple principal – Dori songe régulièrement au suicide. Naxos ne proposant pas cette fois de sous-titrage français, mieux vaut avoir l’histoire en tête afin de ne pas s’égarer dans un labyrinthe de faux semblants !

Heureusement pour le mélomane qui découvre La Dori dans cette production présentée en août 2019, lors de l’Innsbrucker Festwochen der alten Musik, la mise en scène de Stefano Vizioli [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il barbiere di Siviglia et Le prophète] ne cherche pas à en compliquer l’approche. Par un décor d’Emanuele Sinisi où se détachent des dunes sableuses et une mer peinte sur de hautes parois, par le soin apporté aux costumes bigarrés par Anna Maria Heinreich, le dépaysement spatio-temporel est mis en place sans rodomontades et l’on identifie aisément de quoi il retourne. De la même façon, le chorégraphe Pierluigi Vanelli vise à l’harmonie générale.

Avec sa voix ronde au grain tragique, le mezzo-soprano Francesca Ascioti éblouit dans le rôle-titre, entourée des soprani Francesca Lombardi Mazzulli (Arsinoe), chaleureuse malgré quelques accrocs [lire notre chronique de Marc’Antonio e Cleopatra], et Emőke Baráth (Tolomeo), très agile comme toujours [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Elena, Catone in Utica, Orfeo, Scylla et Glaucus, Stabat Mater de Pergolesi, Ipermestra, Alcina et Stabat Mater de Poulenc]. Chez les hommes, le plaisir de l’écoute est également au rendez-vous. Les contre-ténors Rupert Enticknap (Oronte), à l’intonation infaillible [lire nos chroniques de L’opera seria, Lost Highway, Hamlet et La divisione del mondo], et le vaillant Konstantin Derri (Bagoa) [lire notre chronique des Nozze in sogno] se distinguent par leur bonne santé, tout comme les ténors Bradley Smith (Arsete) et Alberto Allegrezza (Dirce). Enfin, Pietro Di Bianco (Erasto) [lire nos chroniques de Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Didone abbandonata et Che originali!], Federico Sacchi (Artaserse) et Rocco Cavalluzzi (Golo) font honneur aux registres plus graves. Tous sont discrètement mais sûrement accompagnés par Ottavio Dantone, chef à l’articulation souple, en fosse avec l’Accademia Bizantina [lire nos chroniques de Tito Manlio, Giulio Cesare in Egitto, L’Italiana in Algeri, Alcina, Rinaldo, Il Flaminio, L’incoronazione di Dario au CD puis en DVD, enfin de La Cenerentola].

LB