Chroniques

par olivier rouvière

récital Ann Hallenberg
Coccia – Mayr – Mosca – Paër – Rossini – Weigl

1 CD Naïve (2012)
V 5309
récital Ann Hallenberg | Coccia – Mayr – Mosca – Paër – Rossini – Weigl

Alors que tant de ses consœurs, sous prétexte de succès, brûlent la chandelle par les deux bouts, le mezzo suédois a jusqu’ici mené une carrière exemplaire, ce qui s’entend dans l’épanouissement de la voix : le second soprano un peu anonyme entendue en 1998 dans l’Orfeo de Sartorio (Challenge Classics) est devenu une cantatrice au timbre chaud, à l’intonation sûre, à la ligne opulente, à la virtuosité naturelle – un Sesto (de Mozart) quasi idéal. Dans le présent disque, elle met toutes ces qualités, qui l’ont fait triompher dans la musique « ancienne », au service d’un répertoire plus tardif – dont on se demande tout de même s’il deviendra pour elle un territoire d’élection...

Égérie du jeune Rossini, le contralto Marietta Marcolini semble avoir été une bête de scène, aussi douée pour les rôles bouffes que crédible en travesti. Or ce sont justement ces deux types d’emplois qu’Ann Hallenberg ne paraît pas faite pour endosser : le seul air réellement buffo du CD, Mentre guardo (Le bestie in uomini de Giuseppe Mosca) manque ici d’abattage, de verve, tandis que les pages héroïques (la scène d’Achille qui ouvre le corpus et, surtout, l’air de Ferdinando Paër) mettent en relief la faiblesse d’un grave qui n’a rien d’androgyne et le manque de métal. Sans conteste, le velours de l’artiste nous évoque davantage l’épouse inquiète, la tendre mère ou l’adolescent que le soudard casqué ou la peste nymphomane (qui seraient plutôt l’apanage de sa rivale Marie-Nicole Lemieux, par exemple).

Le passionnant (mais inégal) corpus rassemblé par Fabio Biondi – neuf extraits d’opéras écrits entre 1810 et 1815, inédits pour moitié – se voit ponctué de quatre grandes pages rossiniennes dont les plus célèbres sont évidemment celles tirées de L’Italiana in Algeri : Ann Hallenberg s’y confronte au souvenir d’illustres devancières, à commencer par Marilyn Horne. Surprise ! Si Horne reste préférable dans l’ineffable Per lui che adoro, où elle mettait davantage d’expression, de largeur, la Suédoise ne lui est guère inférieure dans le redoutable Pensa alla patria dont sa technique ornementale, son haut registre et son art des nuances tirent le meilleur parti. Ailleurs, en revanche, ce sont particulièrement les cantabili qui flattent cette voix crémeuse, à la tendresse innée, à la diction persuasive, aux inflexions sensuelles : on rend les armes devant Dille che in lei rispetto de Joseph Weigl, Tu mi stringi de Carlo Coccia ou la partie lente de l’air de Ciro in Babilonia (Rossini).

Cette élégance dans l’élégie nous amène à croire que l’évolution d’Ann Hallenberg la conduira plutôt vers Donizetti (Smeton, Orsini, Pierotto) que vers Rossini. Mais pour l’heure, elle nous doit encore bien des pages baroques et classiques : pourquoi pas, par exemple, un hommage à Anna Giro, l’inspiratrice de Vivaldi, ou à celle de Hasse et Händel, la grande Faustina Bordoni ? Elle pourrait y retrouver son complice Biondi dont (en dépit d’un orchestre quelconque et d’un chœur redoutable) la direction apparaît ici des plus probantes, tonique et acérée, tenue et ciselée, bien que parfois un peu sèche.

OR