Chroniques

par katy oberlé

récital Anne Schwanewilms
Korngold – Schreker – Schubert

1 CD Capriccio (2016)
C 5233
Le soprano Anne Schwanewilms chante Korngold, Schreker et Schubert

Presque tout va au soprano allemand ! On l’entend avec bonheur dans les opéras de Strauss, dans ceux de Wagner et même dans Poulenc, Anne Schwanewilms qui, sous la battue de Kent Nagano, nous fit redécouvrir le grand compositeur de l’entre-deux-guerres que fut Franz Schreker. Justement, son album consacré à Schubert est judicieusement articulé par un recueil de son opus cinq, et par l’opus 22 d’Erich Wolfgang Korngold. Celle qui, il y a un peu plus d’un an, donnait une superbe soirée de Lieder dans ma ville, jalonnée de pages éternelles signées Mahler, Schumann ou Liszt, je la retrouve avec infiniment de plaisir au disque. Accompagnée par Charles Spencer, avisé et inspiré, elle chante Claudius, Goethe, Heyse, Kobald, Schiller, Schlegel ou encore Stork, selon les époques parcourues.

Le plaintif Die Götter Griechenlands D.677 ouvre un récital qui alterne parfaitement les caractères. La douceur et la souplesse traversent une présence inimitable, toute à l’attention d’un style cultivé avec intelligence. Parlons de silences conduits, tellement ils font sens dans le phrasé général. Plus connu, An den Mond D.296 avance une savoureuse égalité où le travail de la nuance s’imbrique dans chaque menu détail, avec une souplesse surprenante. Un deuxième Lied éponyme, délaissant Goethe pour Hölty, accuse une mélancolie profonde, modulant lui-même le climat. Comme une élégie mozartienne s’élève Im Abendrot D.799, tellement pur.

Après le ciel vu d’en bas, les lunes sentimentales ou paysagistes, la deuxième station schubertienne montre l’éphémère jeune fille, si facilement emportée par la Faucheuse. Elle commence par le sombre Das Mädchen D.652, puis le plus suggestif encore Die junge Nonne D.828, quasimélodrame, révèle l’expressivité précise d’Anne Schwanewilms qui s’exalte merveilleusement. Le funèbre s’installe avec Schwestergruß D.762, tire-larmes avançant vers la lumière, à l’inverse du définitif Der Tod und das Mädchen D.531, peut-être trop lent.

Dernière section de ce beau récital, trois solos extraits du cycle composé en 1825 d’après The lady of the lake de Walter Scott (1810). Soprano et pianiste transplantent le récital chambriste au théâtre, avec Raste Kriger D.837, héroïquement contrasté. Après la chasse dans laquelle bondit Jäger, ruhe von der Jagd D.838, l’album se termine avec le célèbre Ave Maria – anthologique, vraiment ! Mais avant cela, deux héritiers, Schreker et Korngold.

Né cinquante ans après la disparition de Schubert, le premier livre Fünf Lieder Op.5 où Liszt, Mahler et Strauss conversent. L’élan d’Im Lenz exhale un lyrisme formidable que nos interprètes portent fièrement, de même que cette ritournelle schumanienne, Das Glück remarquablement chanté. Il y quatre saisons, la création française de Der ferne Klang à Strasbourgavait prouvé, malgré une mise en scène calamiteuse, l’intérêt indéniable de la musique de Schreker. Ces cinq pièces, par leur charme, interrogent la routine de trop de musiciens et de responsables d’institutions sans laquelle Schreker aurait gagné depuis longtemps une vraie place dans nos répertoires – écoutez Umsonst, par exemple !

Korngold, au contraire, est plus volontiers choisi lorsqu’il s’agit de porter à la scène quelque musicien dégénéré, comme disaient nos voisins d’alors. Alors que Schreker s’est éteint quelques mois après l’élection du national-socialisme, dans ces années-là le fils prodige du critique musical Julius Korngold approche de la quarantaine avec un catalogue développé, commencé très tôt. Aujourd’hui, on ne compte plus les productions de Die tote Stadt, son plus célèbre opéra. Ses Drei Lieder Op.22 datent de 1929, une période faste pour le créateur qui collabore à de nombreux projets théâtraux avant de s’orienter vers le septième art et Hollywood où fuir Vienne, de justesse avant l’Anschluß. Was du mir bist nage dans les mêmes extases que le vieux Richard, assaisonnées d’un glamour séduisant. L’harmonie audacieusement travaillée de Mit dir zu schweigen bénéficie d’une réalisation exemplaire de couleur, d’exactitude des intervalles, pourtant difficiles, d’engagement, enfin. On ne se lassera pas d’écouter et réécouterles volutes de l’envoûtant Welt ist stille eingeschlafen.

Anne Schwanewilms et Charles Spencer signent une gravure splendide dont il serait sot de se priver – à bon entendeur….

KO