Chroniques

par laurent bergnach

récital Duo Controversia et ses invités
Berio – Bussotti – Donatoni – Maderna

1 CD Hortus (2019)
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Le Duo Controversia joue les Italiens Berio, Bussotti, Donatoni et Maderna

Pivots d’un programme riche et cohérent qui nécessite quelques invités, la harpiste Aurélie Bouchard et le clarinettiste Sergio Menozzi forment le Duo Controversia dont le nom résonne de cette Italie vingtièmiste ici proposée via quatre compositeurs emblématiques de l’après-guerre : Bruno Maderna (1920-1973), Luciano Berio (1925-2003), Franco Donatoni (1927-2000), ainsi que notre contemporain Sylvano Bussotti (né en 1931). Le musicien suisse joue également du saxophone, confiant dès lors la partie de clarinette à son confrère Lucas Dietsch, comme c’est le cas pour Dialodia (1971), bref opus de Maderna livré dans une version inédite au disque, pour saxophone sopranino et petite clarinette. Son titre fait référence à l’aulodie, une mélodie jouée avec l’aulos, instrument à vent de l’antiquité grecque. L’aulète qui le tient accompagnait alors les rites religieux et sociaux. On y aime son entrelacs contrapuntique à l’ancienne, mais avec harmonie contemporaine, qui gagne en expressivité après un départ faussement tranquille.

Dans un pays dont l’art sonore s’est engourdi au XVIIIe siècle, comme le confie Berio à Myriam Tétaz-Gramegna, « Casella, puis Dallapiccola et, surtout, Maderna ont conduit à une pensée musicale autre que celle de l’opéra » (in Au cœur de la création musicale, La Bibliothèque des Arts, 2018). De l’architecte d’Ekphrasis [lire notre critique du CD], la plus ancienne des trois pièces jouées est Chamber Music (1953), inspirée par la poésie de Joyce et l’œuvre de Dallapiccola – une influence dont le jeune homme d’alors s’éloigne doucement mais sûrement. Notre duo-vedette s’y entoure de Raphaël Ginzburg (violoncelle) et d’Amadea Lässig, excellent mezzo-soprano au timbre chaud. La harpiste joue aussi Sequenza II (1963), tentative émérite de commenter le rapport entre un virtuose et son instrument. Cette pièce quasi guitaristique apparaît moins sèche que de coutume, l’artiste et la prise de son la nimbant d’une aura moelleuse. Enfin, Sequenza III (1966) est l’occasion d’une nouvelle première mondiale qu’enregistre un homme, le baryton Nicholas Isherwood, sans que son potentiel comique en pâtisse.

On retrouve la harpiste en soliste pour le diptyque Marches (1979) de Donatoni, neuf minutes toniques, obsessionnelles et dramatiques fort séduisantes, mêmes si moins mystérieuses que celles proposées par Berio pour le même instrument. L’auteur de Duo per Bruno [lire notre critique du CD] est moins sérieux dans le quart d’heure intitulé Hot (1989) pour saxophone et six instruments – sous la direction de l’élément féminin de Controversia, Lucas Dietsch (clarinette), Florent Farnier (trompette), Thibaut du Cheyron (trombone), Orlando Bass (piano), Nicolas Jacobée (contrebasse) et Carlos Puga (percussions) dialoguent avec son élément masculin. Sans surprise, on y repère des éléments jazzy, une parade de cirque dominée par la figure du clown, mais aussi de longs passages dignes de rythmer les aventures d’un James Bond dans la Havane des sixties. En ce qui nous concerne, sa fin gaguesque n’arrive pas trop tard !

Accompagné pour ses cours de violon, dès l’âge de cinq ans, puis pour ceux de piano (Dallapiccola), le Florentin Bussotti a vécu presque seul sa formation à la composition, du fait de la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, le jeune autodidacte pouvait-il préférer la rigueur structuraliste en vogue à Darmstadt à un certain indéterminisme prôné par John Cage ? Sans doute pas, ni même renier ses héros romantiques (Mahler, Puccini, Berg). Avec Bruto, ignudo… (1980), Sergio Menozzi livre son unique solo du disque, avec l’aridité d’une étude où les nombreuses nuances, cernées de silences et césures, dessinent différents caractères psychologiques. Quant à lui, Due ballabili (1937/1983) ramène à la précocité du compositeur, avec une petite berceuse, tout d’abord, née du souvenir d’un air signé André Messager, puis une chanson, un peu ivre, que l’élève violoniste de six ans improvisa avant d’être réprimandé. Ode à l’invention de l’enfance, ce fragment se doit d’être arrangé « avec la plus grande liberté et sans le moindre scrupule ! », pour notre plus grand plaisir. Ce dernier ne nous ayant d’ailleurs pas quitté tout au long de l’écoute (rareté des compositions, qualité de l'interprétation), notre rédaction décerne sans hésiter une Anaclase! à cette gravure.

LB