Chroniques

par laurent bergnach

récital Juliane Banse
Henze – Reimann – Rihm

1 CD WERGO (2017)
WER 7360 2
Accompagnée par l'orchestre, Juliane Banse chante Henze, Reimann et Rihm

Élève de Paul Steiner, Ruth Rohner, Brigitte Fassbaender et Daphne Evangelatos, Juliane Banse sert le répertoire (Mozart, Strauss, etc.) mais n’oublie pas la musique de ses contemporains. Pour preuve, depuis son rôle-titre dans Schneewittchen (Zurich, 1998) d’Heinz Holliger, le soprano multiplie les collaborations sur le long terme avec nombre de compositeurs [lire notre chronique du 15 avril 2013], dont les trois au programme de ce disque, Henze, Reimann et Rihm.

D’abord influencé par Stravinsky puis par les sériels, Hans Werner Henze (1926-2012) laisse une vingtaine d’opéras qui fit sa réputation et témoigne de son attrait pour la voix – « la musique prend sa source dans le langage parlé », affirme-t-il à la chroniqueuse Myriam Tétaz-Gramegna (in Au cœur de la création musicale, La Bibliothèque des Arts, 2018). Lorsqu’il entame L’Upupa und der Triumph der Sohnesliebe (Salzbourg, 2003) [lire notre critique du DVD], c’est en imaginant un rôle sur mesure pour Banse – un rendez-vous manqué pour cause de maternité. Elle se rattrape aujourd’hui en enregistrant Nachstücke und Arien (1957), bien que le chant n’y prédomine pas. En effet, dans cette pièce d’une vingtaine de minutes en cinq parties, deux airs forment de simples interludes aux trois nocturnes orchestraux qui gagnent en nervosité. L’auteur de Das Floß der Medusa (1968) [lire notre chronique du 13 mars 2018] y emprunte les mots d’Ingeborg Bachmann, future librettiste de Der Prinz von Homburg (1958) et Der junge Lord (1964), chantés pour la première fois à Donaueschingen par Gloria Davy.

Sappho est ici l’autre poétesse à l’honneur. Une centaine d’auteurs anciens ont évoqué l’artiste de Lesbos, née au VIIe siècle avant Jésus-Christ, mais nos connaissances sur elle et son legs restent fragmentaires. Traduits par le philologue classique Walter Jens, trois de ses textes soutiennent Drei Gedichte der Sappho (Hanovre, 2000), quart d’heure signé Aribert Reimann (né en 1936). Conduit par l’impeccable Christop Poppen, la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern n’en étouffe pas la nature érotique, réduite à neuf instruments (cor anglais, basson, contrebasson, trois altos, deux violoncelles et une contrebasse). D’un lyrisme tendu, le chant prosodique met en relief la virtuosité de la diva, son agilité expressive, surtout dans les passages a cappella.

La musique domine chez Henze, la voix chez Reimann. Il revient à Wolfgang Rihm (né en 1952) d’opérer une symbiose entre les mots et les notes dans Aria/Ariadne (Cologne, 2002), un scénario pour soprano et petit orchestre inspiré par Dionysos-Dithyramben de Friedrich Nietzsche – le recueil qui fonderait l’opéra Dionysos [lire notre critique du 5 août 2010 et notre critique du DVD] –, plus tard intégré à Drei Frauen (Bâle, 2009), aux côtés des monodrames Penthesilea Monolog et Das Gehege [lire notre chronique du 19 janvier 2018]. Ce monologue de vingt-cinq minutes propose différents climats que la voix accompagne, passant de la colère au rire, de la certitude au questionnement.

LB