Chroniques

par laurent bergnach

récital Konrad Skolarski
Prokofiev – Rachmaninov – Scriabine

1 CD DUX (2012)
0735
récital Konrad Skolarski (piano)

Né en 1980 dans une famille de musiciens, Konrad Skolarski débute le piano à l’âge de quatre ans, sous la tutelle de Marek Mizera – lui-même ancien élève de Lazar Berman. C’est le premier d’une longue liste de professeurs vus avec régularité : Janusz Olejniczak (1995-98), Olga Rusina (1998-2005), Alicia Paleta-Bugaj (2007), Pavel Gililov (2007-10) et Peter Feuchtwanger (depuis 2010). Il faut ajouter à cette solide formation les leçons privées et autres master classes de musiciens tels qu’Alexander Jenner, Vladimir Kraïnev, Hiroko Nakamura, Sergio Perticarolli et Oxana Yablonskaya.

Le jeune pianiste ne se repose donc pas sur ses acquis, lui qui, à neuf ans, se produisit déjà dans le Concerto en fa mineur BWV 1056 de Bach et remporte, à l’âge de treize, le deuxième prix du Concours Ludwik Stefański pour les Jeunes Pianistes. En 2001, le premier prix remporté au 3ème Concours International Tchaïkovski lui ouvre la porte des studios d’enregistrement un an plus tard. Il enregistre Chopin, Liszt, Rachmaninov ainsi que Prokofiev, et c’est à ces deux derniers qu’il revient aujourd’hui, côtoyant Scriabine dans un programme postromantique de sonates russes des plus cohérents.

Dans la lignée de sa première sonate (1908), « incontestablement démentielle, et infiniment longue », Sergueï Rachmaninov (1873-1943) débute l’écriture de la Sonate pour piano en si bémol mineur Op.36 n°2 en janvier 1913 (Rome) pour l’achever le 13 septembre (Ivanovka). Mais environ vingt ans après sa première exécution, le 3 décembre 1913 (Moscou), le créateur du Chevalier ladre [lire notre critique du CD] allège sa partition de près d’un tiers, considérant tout ce que Chopin pouvait dire en moins de vingt minutes. Par la suite, certains jugèrent l’œuvre révisée avec maladresse et revinrent à la version originale d’une demi-heure. C’est celle qui est donnée ici, avec un grand soin de clarté, d’articulation (Allegro agitato), de tendresse et d’élégance (Non allegro. Lento) qui séduiront les amateurs de virtuosité pudique.

À l’exception du Cinquième, les dix Préludes Op.23 on été écrits entre 1901 et 1903, puis créé par Rachmaninov lui-même à Moscou, le 10 février 1903. Konrad Skolarski en donne trois – ceux en ré mineur n°3, en mi bémol majeur n°6 et en la bémol majeur n°8 –, auxquels s’ajoute l’Élégie en mi bémol mineur Op.3 n°1, la pièce Moderato qui introduit Cinq morceaux de fantaisie (1892), tout en recueillement. Avec sa Fantaisie en si mineur Op.28 (1900) d’une dizaine de minutes douces-amères, Alexandre Scriabine (1872-1915) permet une transition vers la Sonate en ré mineur Op.14 n°2 de Sergueï Prokofiev (1891-1953).

Alors qu’une génération les sépare, il est surprenant de rencontrer des dates de composition quasi similaires chez Rachmaninov et Prokofiev, en ce qui concerne leur première sonate. L’explication est simple : le futur auteur de Lieutenant Kijé [lire notre chronique du 12 juillet 2012] est encore adolescent quand il écrit ce mouvement unique aux sections enchaînées. Mené à terme juste un an avant le scandale « futuriste » du Concerto pour piano en sol mineur Op.16 n°2 (5 septembre 1913), son deuxième essai dans un genre qui l’attirerait plus d’une fois se différencie du premier, ne serait-ce que par son architecture en quatre mouvements. Le jeu nuancé de Skolarski s’y exprime avec une délicatesse pétillante, et même un peu verte.

En pédagogue aguerri, Peter Feuchtwanger a raison de souhaiter une carrière internationale à un élève si doué, de plus doté d’un doctorat et d’un vif intérêt pour la peinture, la poésie, la psychologie et la philosophie. Actuellement en négociation discographique, on pourrait retrouver le trentenaire, assez logiquement, dans les Concerti n°2 de Rachmaninov et Prokofiev, avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Polonaise.

LB