Chroniques

par hervé könig

récital Marie-Josèphe Jude et Raquele Magalhães
Debussy – Ravel – Schumann

1 CD NoMadMusic (2021)
NMM 075
Transcriptions pour flûte et piano : CD Raquele Magalhães et Marie-Josèphe Jude

Puisant dans le romantisme allemand et le symbolisme français, Raquele Magalhães et Marie-Josèphe Jude livrent un récital de transcriptions d’un peu plus d’une heure. Il commence par la Sonate Posthume de Maurice Ravel, initialement conçue en 1897 pour violon et piano. Son unique mouvement est adapté par la flûtiste elle-même. Sa fraîche élégance est loyalement respectée, dans un élan printanier, enthousiaste et papillonnant. Le voile délicat de la sonorité du piano comme la véhémence contrôlée de la flûte, dans des phrases adorablement emportées, sont les atouts de cette attractive interprétation, visitée par la poésie.

Bond dans le passé, avec la Sonate pour violon et piano en la mineur Op.105 n°1 de Robert Schumann. Là encore, la talentueuse Raquele Magalhães est l’auteure de la transcription. Dans une expression passionnée (Mit liedenschaftlichen Ausdruck) indique le premier mouvement de cette page de 1851, créée à Leipzig au printemps de l’année suivante. Le caractère volubile de la flûte traduit facilement le chatoyant traitement du thème et de ses motifs dérivés. La fluidité du piano en mène habilement l’émerveillement romantique, soulignant l’ombre tragique dont souffre la modulation de la coda. Le cœur de l’Allegretto apparaît comme un intermède presque baroque. Les musiciennes mettent en lumière son humeur changeante. Animé (Lebhaft), la troisième partie glane son thème dans le Trio pour piano et cordes en ut mineur Op.66 n°2 de Mendelssohn, entendu à Leipzig en décembre 1845. Une nervosité nouvelle s’impose au fil des expositions, réexpositions et multiples développements et contrepoints. D’une facture moins opiniâtre, les Drei Romanzen Op.94 de 1849 sont destinées au hautbois (ou à la clarinette ou au violon) et au piano, bien que de nombreux violoncellistes les intègrent à leur répertoire. Au début des années soixante, Jean-Pierre Rampal a réalisé la transcription pour flûte et piano qu’il a beaucoup jouée ensuite. Avec Robert Veyron-Lacroix, il l’enregistra en juin 1967, pour Erato. L’approche de Magalhães et Jude favorise la clarté du dessin, avec une première romance (Moderato) très mélancolique. Quittant ce climat de rêverie, la deuxième (semplice, affetuoso) introduit la tourmente dans un chant heureux. La dernière fait exactement l’inverse : atmosphère lourde et sombre, parsemée de sursauts optimistes. Toute la sensibilité souhaitée est au rendez-vous de ce disque.

Au compositeur et pianiste français Gustave Samazeuilh (1877-1967) [lire notre chronique de son Chant de la mer], nous devons la réduction pour flûte et piano, publiée par Jobert en 1925, du Prélude à l'après-midi d'un faune (1891/94) de Claude Debussy – entre celles pour piano à quatre mains de Ravel (1910), pour piano seul de Leonard Borwick (1914), pour violon et piano de Jascha Heifetz (1930), pour flûte et harpe de Judy Loman (1984), sans oublier la version pour deux pianos que Debussy a lui-même réalisée en 1895. Inspirée, la présente lecture est habitée par une grâce enjôleuse. Quelques mois avant de disparaître, le compositeur achevait sa Sonate pour violon et piano en sol mineur. Elle est ici donnée dans une adaptation des interprètes qui en transmet tous les questionnements et le pessimisme.

HK