Chroniques

par laurent bergnach

récital Wilhelm Latchoumia et Vanessa Wagner
Adams – Bernstein – Glass – Monk

1 CD La Dolce Volta (2021)
LDV 87
Wilhelm Latchoumia et Vanessa Wagner jouent Adams, Glass, Monk, etc.

Assidus à fréquenter les marges du répertoire classique, Vanessa Wagner et Wilhelm Latchoumia se retrouvent aujourd’hui dans un programme pour deux pianos célébrant la musique minimaliste. Apparue aux États-Unis au début des années soixante, celle-ci implique l’utilisation de matériaux limités (instruments, rythmes, notes, etc.), ce qui provoqua – et provoque encore – scepticisme et malentendu. L’auteur de The cave [lire notre chronique du 23 septembre 2011] en témoigne, qui répondit aux critiques qui le soupçonnaient de vouloir engendrer une transe hypnotique : « non, non, non, je veux que vous soyez en éveil et que vous entendiez des détails que vous n’avez jamais entendus auparavant ! » (in Steve Reich, Différentes phases, La rue musicale, 2016) [lire notre critique de l’ouvrage].

Né une quarantaine d’année avant les pièces fondatrices du mouvement, tels Trio à cordes (La Monte Young) et In C (Terry Riley) [lire notre critique du CD], Leonard Bernstein (1918-1990) apparaît ici en intrus. Cependant, le pont qu’il a tendu entre musiques savante et populaire permit aux générations suivantes, déjà baignées par le jazz (Coltrane, Gershwin, etc.), d’oser intégrer des influences extra-occidentales (l’Afrique pour Reich, l’Inde pour Glass). Dans West Side Story (1957), drame lyrique formaté pour Broadway, le compositeur convoque la culture des deux gangs rivaux d’un quartier new-yorkais. Les Sharks ayant des racines portoricaines, on y retrouve un art cubain (mambo, cha-cha), repris pour Danses symphoniques de West Side Story (1961). Le pianiste et compositeur John Musto (né en 1954) les transcrivit pour deux claviers en 1998. Inévitablement, moments frénétiques et tendres alternent dans cette histoire d’amour contrariée.

Pour sa part, Philip Glass (né en 1937) décolle l’étiquette minimaliste pour se dire créateur de « musique aux structures répétitives » – ainsi que l’énonce son site personnel. Parmi de nombreuses pièces pour deux pianos, voici Quatre mouvements (2008), commande du Klavier-Festival Ruhr (Allemagne), qui ne limite pas les interprètes à une certaine gamme, mais permet, grâce à l’échange des rôles pendant près de vingt-cinq minutes, de révéler le style de chacun dans différentes gammes à différents moments de la pièce. On y retrouve la signature du natif de Baltimore, soit une jubilation franche, quasi orgasmique, et une expressivité plus anxieuse, nostalgique et fiévreuse.

Avant tout chanteuse à la tessiture large et aux techniques de jeu étendues, Meredith Monk (née en 1942) développe très jeune une activité pluridisciplinaire (théâtre, danse, etc.), afin de concevoir elle-même l’écrin destiné à sa musique. Si elle accepte d’être résumée à un mot, ce serait maximaliste, et non l’inverse – « mon but n’est pas d’endormir les gens pour les éveiller ensuite d’un claquement de doigt » (in Musiques nord-américaines, revue Contrechamps n°6, 1986). Durant les années quatre-vingt, la New-yorkaise livre plusieurs opus pour deux pianos, dont Ellis Island (1981). L’ancien îlot du marchand Samuel Ellis fut un lieu majeur de l’immigration européenne (1892-1954), et la petite-fille de paysans polonais, juive-indienne, s’interroge sur l’inclination ou la résistance à l’assimilation culturelle. Rendus par le jeu délicat d’interprètes aguerris à l’art de la nuance, on imagine là flots scintillants et caresses du vent.

Si, pour Vanessa Wagner, elle demeure l’une des œuvres les plus difficiles pour deux pianos, « Hallelujah Junction est incroyablement jouissive à jouer, par la précision démoniaque qu’elle exige des interprètes, par sa puissance rythmique et harmonique, par cette liberté folle, cette démesure qu’elle incarne » (notice du CD). Le nom de cette page de John Adams (né en 1947) est celui d’un lieu-dit des High Sierras, aux confins de la Californie et du Nevada. Créée à Los Angeles en avril 1998, elle est devenue un classique de la musique pour deux claviers, près d’un quart de siècle après sa naissance [lire notre chronique du 8 juin 2018].

LB