Chroniques

par christian colombeau

Reynaldo Hahn
Ciboulette

2 DVD FRA Musica (2014)
FRA 009
Laurence Equilbey joue Ciboulette (1923), une opérette de Reynaldo Hahn

Le 7 avril 1923 avait lieu la triomphale première de Ciboulette au Théâtre des Variétés. Pour fêter les quatre-vingt-dix ans de son opérette, Reynaldo Hahn n’aurait pu rêver célébration plus brillante que ce spectacle coproduit entre Paris, Saint-Étienne et Toulon sous la houlette d’un Michel Fau encore plus « déjanté » que d’habitude, et qui, sans vulgarité, se paye le luxe de camper une inénarrable Comtesse de Castiglione-Castafiore (en robe vert émeraude signée David Belugou) avec une drôlerie, un chic, un tact, un abattage qui soulèvent non seulement l’hilarité mais forcent l’admiration.

Enregistré à l’Opéra Comique en février 2013 – où on le retrouvera début 2015 –, ce spectacle est d’une loufoquerie incroyable dans son classicisme (décors de Bernard Fau et Citronelle Dufay) et sa spiritualité. Michel Fau a réglé une mise en scène élégante, ubuesque parfois, qui donne un rythme allègre aux aventures de ces Dames des Halles mais n’oubliant jamais les moments tendres pour une douce ivresse de la mélancolie. Une fois passés les dialogues un peu longuets du premier acte, tout s’enchaîne et… se déchaîne.

Dans ce jeu de l’amour et du hasard transplanté chez maraîchers et poissonnières, tout bouge, tout vit, on rit, on pleure. La métamorphose d’une paysanne en cantatrice suggère qu’il n’y a qu’un pas des cris des marchés aux contre-uts des opéras, facile à franchir si on a du talent et de la chance. Cerise sur le gâteau, en Madame Pingret, Bernadette Lafont – qui fait ici ses adieux – trouve des intonations faubouriennes dignes d’Arletty. Dans un impayable moment de mise en abîme, en directeur de théâtre étriqué comme pas deux, fils des Deschiens ou de Courteline, Jérôme Deschamps joue son propre personnage.

La distribution est vraiment de grand luxe, et toutes les voix jouent le jeu de cette musique dite « légère ». À la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon et de son chœur Accentus, Laurence Equilbey imprime le rythme idéal aux harmonies canailles du plus français des Vénézuéliens. De toute évidence les interprètes s’amusent beaucoup à incarner les créatures de fantaisie imaginées par Messieurs de Flers et de Croisset.

La voix agile de Julie Fuchs, vraie meneuse de revue, virevolte au gré des caprices de Ciboulette, avec un esprit frondeur digne des Années folles. Semblant d’une éternelle jeunesse, l’Antonin de Julien Behr est d’un charme incroyable, naïf à souhait dans sa découverte de l’amour dans la tristesse, manquant juste peut-être d’un peu d’éclat, minime réserve devant tant de simplicité et de conviction. Le rôle de Zénobie permet à Eva Ganizate d’éclater littéralement dans l’odieux ou la minauderie. Jean-François Lapointe (on dirait Duparquet, écrit à sa taille) se montre encore une fois soucieux de style et de la ligne de chant ; quant à l’acteur, il crève l’écran, brûle les planches et soulève une émotion intense à l’évocation de sa vie de bohème – Rodolphe chez Puccini, c’était lui.

Vous l’avez compris, humour et légèreté se conjuguent dans cet écrin Belle Époque de musique chatoyante : un coffret luxueux à la bonne humeur contagieuse où même le public est pris à partie.

CC