Chroniques

par laurent bergnach

Richard Strauss
Die Frau ohne Schatten | La femme sans ombre

2 DVD Opus Arte (2012)
OA 1072 D
Richard Strauss | Die Frau ohne Schatten

D’une approche moins évidente que Salome (1905) et Elektra (1909), Die Frau ohne Schatten repose sur une intrigue « complexe » qu’Hugo von Hofmannsthal tisse à partir de sources variées (Goethe, Les mille et une nuits, etc.), avec l’envie première d’« une femme insaisissable, capricieuse, dominatrice et pourtant sympathique » au sein d’« une action colorée et forte, où le détail du texte aurait moins d’importance » (20 mars 1911). Dans cette même lettre à Richard Strauss, il cite Die Zauberflöte comme exemple à suivre pour mettre en relation deux couples, l’un issu d’un palais et l’autre d’une cabane. En janvier 1913, il se félicite de l’organisation détaillée des scènes les plus importantes avant de confier ses impasses au mois de septembre – en particulier ce ton lourd et trop psychologique pour un conte voulu tout simple, peut-être consécutif à « la lecture attentive de cinq livrets de Wagner ». L’année suivante, le deuxième acte est achevé. Tandis que Strauss compose en parallèle, Hofmannsthal insiste sur l’importance de l’Impératrice : « les jalons qui bordent son cheminement vers l’humanité sont comme des feux éclatants » (25 juillet 1914). Achevé en 1915, l’ouvrage en trois actes est créé à Vienne le 10 octobre 1919, un an après la fin de la guerre.

« […] les tentatives stupides d’expliquer et des créer des énigmes là où tout n’est qu’imagerie et féérie, je les attends de pied ferme » ajoute encore le librettiste, quelques semaines avant la première. Qu’aurait-il pensé de la mise en scène de Christof Loy, présentée il y a peu au Salzburger Festspiele [lire notre chronique du 1er août 2011] ? Du « dernier opéra romantique » de Strauss, l’Allemand évacue le fantastique au profit d’un conte de fées bourgeois : dans un studio d’enregistrement viennois des années cinquante (les fameuses Sofiensäle, pour l’essentiel détruites par le feu en 2001), une jeune femme en début de carrière est sollicitée pour chanter l’Impératrice aux côtés d’artistes renommés. Rôle sans beaucoup de texte, la novice admire le travail de ses aînés devant les microphones, entourée des différents employés d’un lieu où vie sociale et sentiments privés se conjuguent parfois. Mis à distance, le public ne s’est pas gêné pour huer une production certes glaçante – qui nous rappelle une Lulu quasi concertante de 2009 [lire notre critique du DVD] –, mais qui a l’avantage de rendre attentif aux mots du livret.

Hélas, la distribution vocale ne fait pas oublier l’ennui souvent ressenti. Stephen Gould (L’Empereur) s’avère ample et sonore, mais aussi heurté, sinon faux. Anne Schwanewilms (L’Impératrice) offre un chant trop longtemps raide et étroit, même si nuancé. Wolfgang Koch (Barak) se montre terne et laborieux. En revanche, Michaela Schuster (La Nourrice) brille par son expressivité, tandis qu’Evelyn Herlitzius (La femme de Barak) séduit par son aisance musicale et scénique. Signalons également un trio fraternel équilibré – Markus Brück, Steven Humes et Andreas Conrad – ainsi que la voix du Faucon portée par Rachel Frenkel.

Enfin, à la tête des Wiener Philharmoniker, Christian Thielemann dirige Strauss « sans corps ni expressivité », à l’instar d’une Alpensinfonie donnée durant le même été [lire notre critique du DVD]. On baille à sa lecture certes tenue mais monochrome, sans relief ni sensualité. Les amateurs pourront retrouver le chef en répétition dans un reportage de vingt-six minutes, accompagnant la captation à la Großes Festspielhaus. Parmi d’autres témoignages, le sien rend compte (avec humour et culture) d’interrogations sur la diction, le tempo et le choix de la taille du « pinceau » – car la musique du natif de Munich, volontiers orientaliste, doit parfois être appréhendée comme une couleur. « On doit jouer les notes et les imaginer, mais sans une certitude tranchée » conclut l’ancien assistant de Karajan et Barenboim.

LB