Chroniques

par laurent bergnach

Richard Strauss
Elektra

1 DVD Bel Air Classiques (2014)
BAC 110
Richard Strauss | Elektra

Après le sulfureux succès de Salome (1905), Richard Strauss songe à mettre en musique Elektra, la pièce du poète viennois Hugo von Hofmannsthal découverte en 1903. Après quelques retouches au texte inspiré de Sophocle et deux années d’écriture musicale, l’ouvrage est présenté à la Semperoper de Dresde, le 25 janvier 1909. Près de cent ans plus tard, Bernard Foccroulle, tout nouveau directeur du Festival d’Aix-en-Provence, décide d’en proposer la mise en scène à Patrice Chéreau, alors occupé à De la maison des morts [lire notre chronique du 16 juillet 2007]. Après bien des hésitations et d’autres pistes explorées ensemble, ce dernier finit par accepter, début 2010. En avril 2013, quelques mois avant les représentations estivales, il fait part de son approche, en lien avec un aveu du librettiste :

« Ce qui m’a intéressé, dira Hofmannsthal, c’est Électre et son analogie et son opposition à Hamlet. On peut alors regarder [Elektra] comme la description des ravages d’une fidélité mortifère, y voir au travail comme chez Shakespeare l’aile noire de la dépression, avec son alternance épuisante de lassitude, de peur panique et d’exaltation. Et le sarcasme et l’ironie qui veulent faire mal mais qui ne blessent que celui ou celle qui les utilise. La question du désir sexuel, aussi, constamment nié, la peur qu’on en a (Hamlet, Électre), et le dégoût pour ces mères qui semblent avoir passé leur vie à y succomber ».

Tandis que la direction artistique du festival se charge de réunir la distribution en écoutant ses souhaits (un Aegisth encore désirable, des servantes de couleurs et d’âge variés, etc.), Chéreau se tourne vers le fidèle Richard Peduzzi pour un décor qui n’annonce pas d’emblée le drame à venir. La mise en scène proprement dite réserve des moments de grande densité dans les relations mère-fille et frère-sœur, mais aussi d’autres, fort convenus (le « pelotage » de Chrysothemis) ou risibles si l’on est agacé (les servantes béates à l’arrivée d’Orest).

Pourquoi serions-nous dans cet état, alors que le testament de Chéreau, disparu le 7 octobre dernier, devrait nous mettre à genoux, mains jointes et larmes aux yeux ? Pour trois raisons. Primo, parce que le classicisme de l’artiste nous a toujours paru escorté de maniérisme. Secondo, parce que le film de Stéphane Metge est une catastrophe dont l’option baroque (travellings latéraux, plans instables caméra sur l’épaule, ralentis, gros plans insipides, etc.) contredit la frontalité du drame antique. Tertio, enfin, parce qu’Esa-Pekka Salonen, à la tête d’un Orchestre de Paris aux parties chambristes soignées, alterne fanfare et calme plat, sans lyrisme, ni couleurs ni souplesse [lire notre chronique du 22 juillet 2013].

Il reste heureusement les chanteurs ! Familière de Strauss – Elektra [lire notre chronique du 19 janvier 2010], Die Frau ohne Schatten [lire notre chronique du 1er août 2011 et notre critique du DVD], Evelyn Herlitzius allie puissance, précision et incarnation, nécessaires pour un rôle-titre mémorable. Waltraud Meier (Klytämnestra) est une partenaire-fétiche de Chéreau – Tristan und Isolde [lire notre critique du DVD] – dont le grave s’éveille peu à peu. Colorée, fiable et nuancée, Adrianne Pieczonka (Chrysothemis) complète avec talent le trio féminin. Côté masculin, on retrouve avec plaisir Mikhaïl Petrenko (Orest), d’une autorité naturelle et d’un chant sûr, Tom Randle (Aegisth), onctueux et fiable, ainsi que Franz Mazura (Der Pfleger des Orest), théâtralement imposant.

LB