Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Siegfried

2 DVD TDK (2003)
DV-OPRDNS
production de l'Opéra National de Stuttgart

« Je n'arrive plus à me concentrer sur Siegfried, et ma sensibilité musicale s'échappe bien au-delà, là où me porte mon humeur, au royaume de la mélancolie. Tout me paraît vraiment creux et superficiel » confie Wagner dans une lettre, dès les prémices de cette composition. Le troisième opéra de la Tétralogie est celui qui lui aura demandé le plus de temps et d'énergie. Pour le spectateur néophyte, c’est aussi celui qui demande le plus de concentration, celui qui ne dénoue pas encore l'intrigue tout en y ajoutant de nouvelles interrogations. Commencé fin 1856 dans l’élan de Die Walküre, le travail sur le second acte est interrompu en juin 1857 et le troisième acte ne sera achevé qu'en février 1871. La création aura lieu dans le cadre du premier Ring de Bayreuth, le 16 août 1876.

Mime a élevé le petit Siegfried dans l'espoir de se procurer, grâce à lui, l'anneau détenu par le géant Fafner devenu reptile (ein Wurm dans le texte, non pas dragon comme on le traduit souvent, mais vers ou serpent). L'héritier des Wälsungs ne cesse de le harceler : d'où vient-il ? Il a vu son visage dans l'eau des ruisseaux et ne ressemble pas au gnome. Qui sont ses parents ? Mime finit par lui révéler l'histoire de sa mère en fuite, morte en lui donnant la vie, et lui laissant les restes d'une épée que Mime n'a jamais réussi à reforger. Qui pourra reforger Nothung, brisée par la lance de Wotan dans les mains de Siegmund ? Comme Wotan déguisé en Voyageur nous l’apprend : seul celui qui ne connaît pas la peur y parviendra, et Mime périra de sa main.

Le premier acte fait donc entrer en scène Mime, occupé par le feu de sa cuisine autant que par celui de sa forge. « Je suis ton père et ta mère à la fois », dit-il à l'enfant adopté. Heinz Göhrig tient son rôle avec beaucoup de vaillance, durant cette première heure. Son jeu expressif sans être caricatural passe même sur film. Il est drôle et émouvant ; le public ne s'y est pas trompé au moment des saluts. Wolfgang Schöne (Wotan) à une voix profonde, mais un peu couverte par l'orchestre au début du dernier acte. En revanche, le nasillard Jon Fredric West (Siegfried) déçoit : il possède la puissance, mais le timbre n'est pas très beau. L'aspect quête identitaire du personnage est accentué dans cette production, ainsi que son narcissisme – le « fier adolescent » étant revêtu d'un tee-shirt marqué à nom. Si l'onanisme de Mime peut se justifier comme rituel de rassurement, le roulage de joint de Siegfried est une aberration, du fait de sa vie sociale nulle et qu'il n'a pas besoin de cela pour s'affirmer ou provoquer le nain.

Au deuxième acte, Björn Waag (Alberich clair et vaillant) veille devant le domaine du reptile, un espace sombre entouré de clôtures grillagées, surmontées de barbelés que dominent des haut-parleurs. Attila Jun – Fafner aujourdhui, Hunding dans Die Walküre [lire notre critique du DVD] – est toujours étonnant vocalement. Venant assister au double carnage, l'Oiseau de Gabriela Herrera fait peur à voir et à entendre : petite chose ébouriffée et pâlotte, aveugle comme Tirésias, anorexique comme une lycéenne en jogging, elle chevrote un chant grêle et souvent faux.

Le troisième acte débute avec Helene Ranada (Erda), assez inaudible du fait qu'elle vient rarement à l'avant-scène de cette nurserie à l'abandon, façon orphelinat de l'Est. Comme si nous passions de l'autre côté du miroir, nous découvrons ensuite un boudoir faussement rococo (velours verts et meubles blancs) qui évoque immanquablement la fin du 2001 de Kubrick. Lisa Gasteen (Brünnhilde) à une belle voix chaleureuse, aux graves très posés. Sa présence ne suffit pas à dissiper l'ennui et le désintérêt qui s'installe. Siegried n'a jamais été aussi pataud et Brünnhilde se brosse les dents après avoir mis son rouge à lèvres... Alors que la mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito fonctionnait jusque-là, il est regrettable de finir l'opéra sur cette déception.

En fosse, Lothar Zagrosek continue son parcours sans fautes.

LB