Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg

2 DVD Arthaus Musik (2013)
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Richard Wagner | Die Meistersinger von Nürnberg

Paradoxalement considéré comme l’opéra de gala par excellence (inauguration et réouverture de théâtres), l’unique ouvrage comique de Wagner (1813-1883), Die Meistersinger von Nürnberg, devait plaire assez pour attirer l’attention sur les ouvrages plus sérieux du protégé de Ludwig II et donc voir le jour le plus rapidement possible – comme il est confié à l’éditeur Franz Schott, le 30 octobre 1861 (in Dans la tête de Richard Wagner, Fayard, 2011 [lire notre critique de l’ouvrage]). Mais la gestation de ce Cheval de Troie lyrique, truffé de gens ordinaires à l’inverse de la Tétralogie, ne put être aussi courte que prévue…

À l’été 1845, le musicien en rédige une première ébauche en prose durant une cure thermale à Marienbad, entre l’achèvement de Lohengrin (1850) et la notation d’idées (déjà !) pour le futur Parsifal (1882). Puis des années passent avant la reprise du travail. Wagner puise alors des éléments essentiels chez les historiens Gottfried Gervinus et Johann Christoph Wagenseil pour achever son livret au style « léger et populaire » en janvier 1862, au cours d’un séjour de huit semaines dans la capitale française où Tannhäuser, avec son autre concours de chant, vient de faire un four [lire notre chronique du 6 octobre 2011]. La composition peut alors commencer. En octobre 1862, le prélude résonne pour la première fois en concert à Leipzig, mais le premier acte ne serait pas achevé avant mars 1866 : accablé par les soucis d’argent, Wagner n’arrive pas à se concentrer sur son œuvre en continu. Il faut attendre encore cinq ans pour que soit mis un point final aux trois actes, et quelques mois de plus pour qu’ils soient présentés avec succès au public, le 21 juin 1868, grâce à l’intervention du roi de Bavière.

Le 1er mai 1993, à la Deutsche Oper de Berlin, on découvrait la mise en scène qu’en faisait Götz Friedrich, dans les décors d’un kitsch minimaliste signés Peter Sykora – filmée en 1995. Celle-ci fonctionne psychologiquement mais avec un cruel manque de rythme et d’humour – pour s’amuser lors de la sérénade, mieux vaut revoir la version de McVicar à Glyndebourne [lire notre critique du DVD] ! La fosse, hélas, ne rachète pas la scène, et il faut supporter pendant quatre heures et demie la direction sans vitalité ni lyrisme de Rafael Frühbeck de Burgos qui cultive le pire : percussions sentencieuses, rubati traînards, tempi torturant les chanteurs, etc.

Entourés d’un chœur efficace, les chanteurs parviennent seuls à conserver notre attention : Wolfgang Brendel (Sachs) est expressif, coloré et sonore ; Victor von Halem (Pogner) s’avère onctueux et Eike Wilm Schulte (Beckmesser) stable et impacté ; David Griffith (Vogelgesang) offre un chant pointu tandis que celui de Lenus Carlson (Kothner) est robuste et que percute celui d’Hans Lang (Oertel). Uwe Peper (David) séduit par sa santé, sa vivacité et sa nuance, mais il dérape fréquemment du fait d’un orchestre déliquescent. Fiable comme Eva Johansson (Eva) mais sans son zeste d’acidité, Ute Walther (Magdalena) possède une présence évidente. Nos seules réserves concernent Barry McDaniel (Nachtigall) parfois tremblant, Otter Heuer (Moser) un peu usé et Gösta Winbergh (Walther) qui s’assouplit au cours de la représentation mais dont l’aigu fatigue au final.

LB