Chroniques

par bertrand bolognesi

Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg

1 coffret 4 CD Decca (2005)
475 6680
Richard Wagner | Die Meistersinger von Nürnberg

À l'automne 1975, soit deux ans avant de réaliser l'enregistrement de Der fliegende Holländer à Chicago – de nouveau disponible chez Decca [lire notre critique du CD] –, György Solti gravait à Vienne Die Meistersinger von Nürnberg avec un Normann Bailey qu'on préférait largement en Hollandais qu'en Sachs. Bien qu'expressive et touchante dans l’acte médian, l'incarnation paraît artificielle. Quoiqu’avantageusement sonore le vibrato n'est pas vraiment géré. Enfin, le personnage ne parvient pas à prendre corps, laissant l’écoute sur sa faim. De même n'est-on guère satisfait du Walther de René Kollo, continuellement nasalisé, trop souvent agressif. Il propose un candidat certes plein d'ambition mais dont on peine à croire qu'il soit motivé par un sentiment amoureux. Le chant s'articule presque exclusivement dans la hargne, n'hésitant pas à racler le grave en des effets assez vulgaires, hachant durement la diction et ne trouvant que dans la grande confusion de l'échec de l'enlèvement matière à tâcher de nuancer un peu. Dans le dernier acte, il claironne vaillamment, sans plus.

Ceci étant dit, le gros du casting est largement honorable.
Notons la différenciation sensible des timbres des maîtres, ce qui est indispensable au disque. Parmi ceux-ci, Gerd Nienstedt est un Kothner d'une clarté remarquable dont on goûte l'agilité et l'égalité de la pâte sonore. Kurt Moll s'avère bien sûr un très grand Pognerf ; son format vocal impressionnant est idéalement distribué. Finement nuancé dans l'ironie, ne caricaturant jamais son chant, ce qui crédibilise le propos – car même mauvais, le personnage reste un maître, ne l’oublions pas –, le Beckmesser de Bernd Weikl est efficace et précis autant qu'irrésistiblement drôle. Signalons la chaude couleur et le phrasé facile du mezzo hongrois Julia Hamari en Magdalena, et la grâce enlevée d’Hannelore Bode en Eva, néanmoins assez instable parfois. Les deux voix féminines fonctionnent parfaitement ensemble. De ce plateau, c'est avant tout Adolf Dallapozza qui emporte les suffrages : il campe un David jamais pris en faute, conduit un chant d'une subtilité remarquable, ose des voix mixtes tout en respectant les exigences de vaillance. Le ténor s'avère somptueusement musical, usant de la richesse de son timbre pour rendre le rôle encore plus présent.

À livrer dans une grande vitalité des interventions délicatement dosées, toniques, précises et génialement musicales, les artistes du Wiener Staatsopernchor sont littéralement stupéfiants. De son côté, Solti profite de l'excellence incontestable des Wiener Philharmoniker dans cette interprétation qui jamais ne force le trait et avance main dans la main avec la comédie. Usant de la suavité incomparable des cordes et de la fine couleur des soli de bois, il signait alors une version pleine d'esprit, à l'accentuation légère et féline, traversée d'un grand souffle lyrique où la pure merveille extatique de Vorspiel du troisième acte vient suspendre l'action en une respiration divinement contemplative, par-delà la mélancolie attendue.

BB