Chroniques

par bertrand bolognesi

Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les maîtres chanteurs de Nuremberg

1 coffret 4 CD Naxos Historical (2006)
8.111128-31
Richard Wagner | Die Meistersinger von Nürnberg

En 1938, la branche allemande d'EMI entreprit de graver Der Meistersinger von Nürnberg à la Semperoper de Dresde. Le calendrier des prises de son commençant par le troisième acte, le projet fut arrêté en plein vol par la guerre. Du coup, lorsqu'en 1950-51 Decca pressa la distribution viennoise du moment, la firme mettait sur le marché le premier enregistrement complet de l’unique comédie de Wagner. Aussi ne s'étonnera-t-on pas qu’aujourd’hui Naxos la réédite dans sa collection Historical.

Quelle distribution !
Mises à part quelques réserves quant à Walther et Kothner, tout le casting est exceptionnel. Else Schürhoff y est une Magdalena non seulement efficace mais encore attachante, facétieuse et expressive. À trente-trois ans,Otto Edelmann offrait à Pogner une remarquable homogénéité de l'impact vocal, une fermeté s'ornant d'un vibrato strictement contrôlé, un organe d'une santé admirable et une approche intelligente du texte. De la même génération, Karl Dönch campe un Beckmesser dont la vaillance s'enorgueillit fièrement d'une parfaite unité de la voix ; il construit un personnage perfide à souhait, n’oubliant pas d'être bête sans pour autant se lover dans la caricature.

Comme nous l'annoncions, Alfred Poell est un Kothner décevant. Le timbre est riche et la voix étendue, sans compter certaines nuances luxueusement veloutées, mais le haut-médium est systématiquement faux et les quelques vocalises souffrent de lourdeur et d'autant d'imprécision. On ne se laissera pas plus convaincre par le Walther de Günther Treptow, à l'inverse très précis, mais dont les attaques heurtent par une dureté qu'on ne saurait confondre avec de l'ardeur. L'aigu est difficile, raide même, les fins de phrases sont trop souvent laissées pour compte, et les quelques beaux moments de plénitude vocale et de lyrisme ne suffisent pas à marquer l’écoute.

Trois bonheurs viennent largement compenser ces constatations. Tout d'abord – et assez évidemment – le ferme Sachs de Paul Schöffler, particulièrement phonogénique, mène élégamment un chant toujours finement nuancé. Bien sûr, l'exquise Eva d’Hilde Gueden, révélant pour commencer l'extrême clarté de son timbre, livre ensuite un numéro de minauderie de haut vol (Acte II) pour finalement développer des ressources amplement lyriques dont l'évident phrasé véhicule sensibilité et émotion, dès lors que l'intrigue se dénoue. Enfin, Anton Dermota séduit plus encore que ses partenaires ; il prête à David une articulation indiciblement souple et une couleur plus musquée qu'habituellement. Son approche, toujours délicatement nuancée, évolue dans des attaques invraisemblablement moelleuses et quelques voix mixtes somptueusement menées en fin de phrases. Hyper précis, usant d'une incomparable lumière du timbre, au service d'une suavité tout simplement sublime, il charme comme aucun autre David.

Cette année-là, c'est Hans Knappertsbusch qui tenait la barre.
Dans un grand geste orchestral magistralement architecturé où les contrastes entre passages « peuplés » et séquences plus nues sont très accusés, il signait une interprétation évoquant parfaitement, et dès l’Ouverture, ce sentiment d'intimité convenant à l'intrigue bourgeoise qui, au fond, met l'intime (pour ne pas dire le « domestique ») sur la place publique. On goûte des interventions de cuivres discrètement amenées et surtout un legato de cordes inénarrable et génialement entretenu trois actes durant.

Relief, suspens et sensibilité habitent cette lecture qui devient cependant poussive dans le premier tableau du dernier acte. Peut-être ne parvient-on plus à entendre les choses de cette façon, aujourd'hui, ce qui pose les questions du rapport à la tradition et de l’histoire de l’interprétation. Cette ombre demeure trop passagère pour gâcher le plaisir, un plaisir redoublé lorsque que survient l'illumination de l'accord introductif de l'épreuve de Walther. En général, Knappertsbusch profite de chaque détail de l'orchestration, n'omettant pas d’ironiquement « cravater » la gentille Danse des apprentis, par exemple. Bref : outre qu'elle est historique, cette gravure s'impose « de référence ».

BB