Chroniques

par samuel moreau

Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg | Les Maîtres chanteurs de Nuremberg

2 DVD EMI classics (2004)
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Richard Wagner | Die Meistersinger von Nürnberg

Très nombreux dans l'Allemagne du XIVe au XVIe siècle, les Maîtres chanteurs étaient à la fois gardiens d'un certain amour de l'art auprès des classes moyennes et organisateurs de concours musicaux aux règles codifiées. En prenant pour cadre de son nouvel opéra cet univers de bourgeois mélomanes, Wagner va dénoncer les préjugés que sa propre musique rencontre depuis plusieurs années. Ainsi, il met en scène deux Maîtres antagonistes confrontés à l'art moderne, spontané, qu'incarne Walther von Stolzing : d'un côté le greffier Sixtus Beckmesser, marqueur (c'est-à-dire juge) de la confrérie, sans concession pour ce qui déroge à la tradition, et de l'autre le cordonnier Hans Sachs, conservateur lui aussi, mais capable de reconnaître le sang neuf qui va raviver celle-ci. Après le tournoi de chanteurs du tragique Tannhäuser, le compositeur s'attache à une parabole comparable dans un esprit léger, voire ironique, qui devait lui ouvrir les portes des scènes allemandes. Cinq années chaotiques passées sur la partition (problèmes de couple, d'argent) mèneront finalement à la création, le 21 juin 1868, au Théâtre National de la Cour de Munich... et au succès.

Nuremberg, une veille de la Saint-Jean, au milieu du XVIe siècle. L'orfèvre Veit Pogner promet sa fille Eva à qui remportera, le lendemain, le concours des Maîtres chanteurs. Eva est éprise du chevalier Walther, chanteur et poète de talent qui arrive de Franconie. Faisant fi des règles contraignantes de la confrérie, le jeune homme échoue à un examen de maîtrise qui a lieu le jour même. À la nuit tombée, les amoureux décident de s'enfuir, mais sont retenus par une sérénade entonnée par un Beckmesser soupirant et par Hans Sachs qui, malgré son affection pour Eva, veille sur leur bonheur. Ainsi, c'est lui qui laissera Beckmesser s'emparer du texte écrit au réveil par Walther, et qui va servir aux deux rivaux à concourir. Mais le greffier, incapable de saisir la poésie des strophes qu'il chante finit par énoncer des phrases sans queue ni tête, se couvrant de ridicule. Walther intervient pour remettre de la beauté dans ce galimatias et remporte la victoire.

Dès l'Ouverture – meublée par une bande annonce déconcertante qui livre des images des trois actes à venir –, nous goûtons une nouvelle fois l'art de Franz Welser-Möst, à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Zurich. La direction est dynamique tout en conservant une légèreté, une clarté étonnante (les cuivres notamment). Le prélude du troisième acte, calme et recueilli, témoigne d'un soin apporté à la couleur. La mise en scène de Nikolaus Lehnoff sait ménager des moments dépouillés, par opposition aux mouvements de foule obligés. Le ballet réglé par Denni Sayers, en amont du concours final, est original et plein de fantaisie.

Personnage discret au début, José Van Dam (Hans Sachs) devient le pilier central de l'opéra. Si le baryton nuance avec beaucoup de douceur, la voix est aujourd'hui fatiguée, tout comme celle de Matti Salminen (Pogner), souci repérable d'autant qu'elle est large. Ceci dit, la jeune génération n'est pas exempte de petits reproches : expressif, Peter Seiffert (Walther) possède une vaillance qui le conduit parfois au cri – quintette du baptême, à l'Acte III – ; Petra-Maria Schnitzer (Eva) nuance un chant sonore qui manque de souplesse et s'égare parfois ; malgré souplesse et élégance, Christoph Strehl (David) se fatigue sur la longueur au premier acte, source de tension vocale. Le chœur, lui aussi, n'est pas toujours très propre – en particulier l’aigu des ténors – mais finit par s'améliorer, surtout avec le renfort du troisième acte. Les parcours sans fautes sont donc ceux de Michael Volle (Beckmesser), fiable et sonore, au chant bien placé, parfaitement projeté, et de Brigitte Pinter (Magdalene), mezzo au timbre rond et chaleureux, d'une belle présence, avec une grande égalité sur toute la tessiture.

SM