Chroniques

par laurent bergnach

Richard Wagner
Die Walküre | La walkyrie

2 DVD Arthaus Musik (2013)
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Daniel Barenboim joue Die Walküre (1870), opéra de Richard Wagner

En mai 2010, les représentations de Der Rheingold (1869) s’achèvent sur la scène du Teatro alla Scala, suivies par celles de Die Walküre (1870), en fin d’année [lire notre chronique du 17 décembre 2010]. Après avoir mis l’accent sur Histoire et mémoire dans l’analyse initiale du grand œuvre wagnérien [lire notre critique du DVD], en spécialiste de la culture moderne européenne, le dramaturge Michael P. Steinberg s’intéresse à présent aux relations humaines. En effet, loin d’un monde réservé aux seuls dieux, nains et nymphes, l’arrivée de l’homme dans la tétralogie implique des échanges nourris d’émotion, d’intimité et d’érotisme, avec des rapprochements frère-sœur comme symbole de résistance à une économie infiltrant la sphère privée.

« Au XIXe siècle, écrit Steinberg, c’est au sein de la famille, en tant que microcosme intergénérationnel, que se retrouvent et s’affrontent le monde traditionnel fondé sur l’honneur et le sentiment, et le monde contemporain fondé sur l’échange et le commerce. Lorsque la famille se referme sur elle-même, elle incarne les sentiments d’affection – et peut-être même d’amour. Si elle s’ouvre sur le monde, ou si elle adapte ses relations internes aux règles en vigueur dans le monde, alors elle devient une institution au service du pouvoir. […] D’une grande finesse psychologique, le personnage de Siegmund incarne la complexité et la vulnérabilité d’une génération intermédiaire passant du monde de l’entreprise familiale au système capitaliste. Il est parfaitement représentatif de cette phase de transition qu’a connue l’Allemagne au milieu du XIXe siècle, marquée par la brutale trahison des espoirs et des idéaux de liberté ».

Directeur artistique de la Toneelhuis (Anvers), Guy Cassiers avait déçu par sa vision assez kitsch de la première partie du cycle. Même si les maquillages s’avèrent toujours immondes et les emprunts à un univers technologique quasi impénétrables (défilé de chiffres et de lettres à la verticale sur les arbres de la forêt), sa mise en scène offre des moments prenants. Ainsi celui d’ouverture, dans la cabane stylisée d’Hunding, où l’absence de table oblige chacun à rester debout, sur ses gardes ; de même la fin où l’amour père-fille éclate dans une émotion s’apparentant assez au pardon.

Tandis que Daniel Barenboim déçoit encore à la tête d’un orchestre milanais très lyrique – à peine frémissant, quand sa baguette n’est pas carrément lourde (Chevauchée) ou d’une lenteur catastrophique (Bûcher) –, une distribution entièrement neuve ravit le spectateur de cette première journée.

Face à John Tomlinson (Hunding), sonore et impacté, qui possède la présence imposante mais aussi le vibrato capricieux des chanteurs vieillissants, on trouve le couple formé par Waltraud Meier (Sieglinde) et Simon O’Neill (Siegmund). Elle finit par être crédible malgré ses défaillances (usure et acidité de certains registres) tandis que lui, d’un ténor vif, s’avère particulièrement prenant et ciselé lors de son récit principal. Plus chef de clan que d’entreprise, Vitalij Kowaljow (Wotan) accompagne de grandes nuances son chant robuste où perce quelque chose de farouche. Ekaterina Gubanova (Fricka) offre des fulgurances charnues et une couleur claire, parmi une riche palette, inhabituelle chez un mezzo ; dès lors, la morale n’est plus seule au cœur de son discours qui convoque aussi la sensualité. Enfin, Nina Stemme (Brünnhilde) livre ces notes chaudes qu’on lui connaît bien.

LB