Chroniques

par vincent guillemin

Richard Wagner
Tannhäuser

1 coffret 3 CD Orfeo (2014)
C 888 143 D
Wolfgang Sawallisch joue Tannhäuser au Bayreuther Festspiele (1961)

Depuis des années, Orfeo propose des captations live des grands festivals, donc celui de Bayreuth. Après les Ring de 1953 (Clemens Krauss) et 1956 (Hans Knappertsbusch), Tristan de 1952 (Herbert von Karajan), Lohengrin de 1959 (Lovro von Matačić) et Meistersinger von Nürnberg de 1968 (Karl Böhm), c’est au Tannhäuser de 1961 dirigé par Wolfgang Sawallisch de paraître, dans un son « remasterisé » de très bonne qualité.

Malgré la réouverture du Bayreuther Festspiele en 1951 par Wieland et Wolfgang Wagner, il faut attendre 1954 pour que le second des dix opéras dits de maturité retrouve la Colline Verte, d’abord dirigé par Joseph Keilberth (Eugen Jochum le remplace pour un soir), avant de passer dans les mains d’André Cluytens en août 1955 (disponible également chez Orfeo) et de disparaître à nouveau. Repris en 1961 dans une nouvelle production, la distribution masculine est quasiment la même que celle de la décennie précédente : Wolfgang Windgassen dans le rôle-titre, Dietrich Fischer-Dieskau en Wolfram et toujours Joseph Greindl (Hermann). Chez les femmes, la surprise vient d’abord de la Vénus de Grace Bumbry, première Vénus noire à Bayreuth, au grand dam d’une partie du public qui enverra nombres de lettres racistes à la direction. C’est également Grace Bumbry qui fit l’enregistrement officiel de 1962 (Philips), alors que l’Élisabeth de Victoria de Los Ángeles disparaît dès le milieu de cette deuxième année au profit d’Anja Silja.

Passée cette remise à jour historique, venons-en à la musique proprement dite, et aux choix surprenants du chef, à commencer par les castagnettes, très présentes. Nous entendions déjà cet instrument dans l’enregistrement d’André Cluytens, mais nettement moins qu’avec Sawallisch qui, lui, choisit l’Ouverture de la version de Paris et sa fin enchaînée tout de suite sur la bacchanale, à l’instar du choix de Georg Solti, plus tard. Le lyrisme et le mysticisme sont moins prononcés qu’auparavant, dans cette lecture plus claire et légère où les percussions, très nettes, troublent moins que les attaques de cordes. Pour le reste, les choix oscillent entre les deux versions de l’œuvre (avec la révision de 1848, il y en a même trois) et trouve ses meilleurs moments lors des climax dynamiques, comme le duo Venus-Tannhäuser de l’Acte I (Dank Deiner Huld !).

Après avoir été Lohengrin, Walther, Siegmund et Siegfried dans l’édition de 1960, Wolfgang Windgassen n’est plus que Walther et Tannhäuser en 1961. L’âge d’or (théorique) de Bayreuth tiendrait donc en partie à un ténor omniprésent pendant près de vingt ans, dont la première apparition vocale de ce 3 août 1961 montre d’abord une fatigue passagère. Le souffle est court, et le contrôle nécessaire à dépasser le premier air surprend. Heureusement, le chant s’ouvre et se libère ensuite pour un troisième acte presque parfait techniquement, toutefois moins touchant qu’en 1955. Inutile de parler du Wolfram de Dietrich Fischer-Dieskau, tant on sait qu’il est idéal, tout comme le sont Gerhard Stolze (Walther), Franz Crass (Biterolf), Georg Paskuda (Heinrich) et Theo Adam (Reinmar). Déjà superbe six années plus tôt, Josef Greindl présente encore un Landgraf profond aux graves consistants.

Cette interprétation se démarque par les incarnations féminines, à commencer par la Vénus surprenante de Grace Bumbry, surprenante non par la couleur de la peau mais par celle de la voix dont les aigus, projetés avec une rare puissance, font penser à Azucena ou quelque autre héroïne verdienne. Victoria de Los Ángeles convainc plus encore, irréprochable tant par le timbre, parfait pour Elisabeth, que par la justesse et l’émotion que génère son personnage, notamment dans l’air Almächt’ge Jungfrau, hör mein Flehen (Acte III).

Déjà sortie chez Opera d’Oro, la bande issue des archives de la Bayerischen Rundfunk est meilleure dans ce nouveau coffret qui propose en sus de nombreuses photos noir et blanc de la production, ainsi qu’une bonne notice trilingue, surtout axée sur la réception de la nouvelle mise en scène de Wieland Wagner. Presque aussi malmenée à l’époque que le sont aujourd’hui les créations du festival, elle soulève la question du mythe du Bayreuth des années cinquante-soixante, lequel ne tiendrait peut-être que par l’imaginaire conservateur de certains de nos contemporains. Ce disque n’est certainement pas la version à acquérir pour appréhender l’œuvre, mais il présente un passionnant choix d’approfondissement et une découverte nécessaire pour tout wagnérien passionné.

VG