Chroniques

par laurent bergnach

Roberto Gerhard
œuvres variées

1 CD NEOS (2013)
NEOS 11110

Né d’un père suisse allemand et d’une mère alsacienne, naturalisé britannique mais catalan d’origine, Robert Gerhard i Ottenwaelder (1896-1970) étudie d’abord le piano avec Enrique Granados (jusqu’à la disparition tragique de ce dernier, en 1916), puis la composition avec Felipe Pedrell (musicien autodidacte et artisan du renouveau folklorique, qui permit à Quasimodo et à Cléopâtre d’entrer à l’opéra…) et Arnold Schönberg, dont il fut aussi l’assistant, cinq ans durant. Dans Vienne où il compose ses Sept haïkaï (1923) qui trahissent l’influence de Pierrot lunaire, il rencontre Berg et Webern avec lesquels il se lie d’amitié, ainsi que sa future épouse, Leopoldina Feichtegger.

De retour à Barcelone (1928), Gerhard continue de fréquenter l’avant-garde artistique, mais aussi politique. Proche du gouvernement républicain de Catalogne, il fonde un groupe radical avec les peintres Miró et Dalí, l’architecte et urbaniste Josep Lluís Sert : Agrupación d'Amics de l'Art Nou (Groupe d’Amis de l’Art nouveau). De Paris où il séjourne un temps, il assiste à la prise de la deuxième ville d’Espagne par les franquistes et décide de s’établir à Cambridge, grâce à une bourse d’étude. Vivant bientôt de choses et d’autres (enseignement, pièces pour le théâtre et la radio, commandes de la BBC, etc.), le créateur laisse derrière lui la guerre civile et un pays où il ne reviendra que de loin en loin.

Après des années cinquante marquées par le métissage (Falla, Stravinsky et Bartók sont aussi ses modèles), la dernière décennie de Gerhard n’est pas exempte de recherches – notamment dans le domaine de la symphonie et du quatuor à cordes. L’enregistrement qui nous occupe le confirme, regroupant quatre pièces conçues entre 1962 et 1969. Avec ses huit musiciens et ses huit parties enchainées, Concerto for 8 (1962) est la plus ancienne d’entre elles, qui vise « le style d’un divertimento, dans l’esprit de la commedia dell’arte quasiment » – spontanéité et déguisement compris. L’usage d’un accordéon et d’une mandoline contribue à son originalité timbrique.

Quelques années plus tard, le duo Gemini (1966) se distingue par des changements constants de texture, une âpreté et une tension reposant sur les agacements du violon tenu par Rahel Cunz, et des ruminations de piano, à l’occasion joué sur les cordes par Christoph Keller. Regroupant lui aussi peu d’instruments (deux vents, deux cordes, deux percussions), Libra (1968) mêle intimité et sections au caractère contrasté. On y apprécie la clarté avec laquelle le musicien propose un univers touffu, rendue avec excellence par Peter Hirsch à la tête du Collegium Novum Zürich.

Enfin, après ces Gémeaux et Balance, Leo (1969) évoque à nouveau le zodiaque, pour un hommage « à l’indolence pacifique du lion – tant qu’on le laisse tranquille – et à ses irruptions impressionnantes dès qu’on l’excite ». Après une ouverture rugissante, l’ensemble instrumental offre effectivement une pièce nuancée, alternant moments paisibles et d’autres plus bondissants, pétris de vents et cuivres aisément farceurs, de cavalcades pianistiques. Ces vingt minutes témoignent de l’influence vivace de Schönberg sur le compositeur catalan, avec une touche varèsienne, mais aussi de l’extraordinaire jeunesse d’un homme de soixante-dix ans.

LB