Chroniques

par bertrand bolognesi

Sergueï Rachmaninov
Symphonie en mi mineur Op.27 n°2 – Vocalise Op.34 n°14

1 SACD Channel Classics (2004)
CCS SA 21604
Sergueï Rachmaninov | Symphonie n°2 – etc.

Né en 1873 à Novgorod, Sergueï Rachmaninov s'essaiera une première fois à l'exercice de la symphonie en 1891, avec un mouvement unique intitulé Jeunesse, contemporain de son Concerto pour piano et orchestre n°1. Encore très influencé par la musique de Taneïev et plus encore celle de Tchaïkovski, il écrit à dix-neuf ans son premier opéra, Aleko, et connaît en même temps ses premiers succès en tant que pianiste et compositeur pour cet instrument. Durant toute l'année 1895, le jeune homme travaille à une Symphonien°1 de laquelle il attend la reconnaissance suffisante à l'imposer aux oreilles de son temps. Par ses choix d'écriture, il place cette œuvre dans l'héritage des Cinq, et en particulier celui de Borodine et Moussorgski. L'œuvre enfin terminée, il fait le siège des musiciens les plus influents de Saint-Pétersbourg et finit par convaincre l'imprésario Mitrofan Belaïev qui programme la première pour le 15 mars 1897, sous la direction d'Alexandre Glazounov.

Rachmaninov est un grand nerveux dont l'humeur est soumise à une mélancolie chronique des plus désastreuses. Il doute beaucoup de lui, et la reconnaissance de ses pairs comme du public pétersbourgeois prend une importance dévastatrice sur son état général. Mars 1897 le précipite dans une déprime désastreuse : non seulement le public n'a pas aimé sa symphonie, Glazounov – la jouant en état d'ébriété – n'a pas témoigné de l'estime espérée, mais la critique rivalisait en adjectifs insultants pour décrire une œuvre que chacun de ses représentants avait détestée. On imagine l'effet d'une telle déception sur la nature instable du jeune compositeur : il relègue la partition au fond d'un tiroir, pour finir par la perdre complètement, ne parvient plus à écrire une note, passe ses journées au lit à tristement caresser son chien, souffre de maux de tête et de ventre, ne se montre plus en public, et cela pendant près d'un an.

Une nouvelle compagnie d'opéra l'engage comme chef d'orchestre : jugeant préférable de gagner sa vie avec ce qu'il pense savoir faire et qui n'implique pas une créativité qu'il a en horreur, il occupe ce poste pendant deux ans. Ce travail l'oblige à sortir d'une dangereuse apathie, et occasionne une belle amitié avec la basse Fédor Chaliapine dont la joie de vivre et la générosité finissent de chasser son humeur noire. L'état d'esprit de Rachmaninov s'améliore à ce point qu'il entreprend quelques compositions ; mais l'effort est encore trop grand, le doute persiste, un sentiment d'à quoi bon a systématiquement raison de ces essais. À partir de janvier 1900, le musicien va consulter chaque jour le docteur Dahl, neurologue qui pratique l'hypnose ; le médecin imagine alors une autosuggestion semi inconsciente qu'il lui fait pratiquer pour conclure chaque séance, persuadé que la seule issue possible serait que son patient parvienne à écrire un chef-d'œuvre. Après quatre mois de ce traitement et un voyage en Italie, Rachmaninov se met enfin au travail, et réalise avec une aisance miraculeuse son Concerto pour piano et orchestre n°2 auquel le public et la critique réservent un accueil triomphal. Si la suite de la carrière du compositeur ne s'affranchirait jamais d'une mélancolie maladive, il ne douterait plus de si tôt de sa mission. Après de nombreuses œuvres, il se lance dans une Symphonie n°2 dès janvier 1907, et en dirige lui-même la création, le 26 janvier 1908 : c'est un succès qui cicatrise la plaie d'un désastre déjà vieux de dix ans.

Iván Fischer signe une nouvelle version de la Symphonie en mi mineur Op.27 n°2 chez Channel Classics, à la tête de l'Orchestre Budapest Festival. Rien ici de l'emphase avec laquelle on prend souvent la musique de Rachmaninov : le chef hongrois soigne une interprétation magistralement nuancée qui distribue comme aucune les mélodies et les jeux harmoniques de la partition. Plus que dans le contraste ou la dynamique, c'est dans la couleur et les timbres minutieusement construits que l'on découvrira le très beau travail de cette équipe. L'expérience faite avec la prise de son est probante : l'auditeur se trouve comme immergé dans l'orchestre qui prend alors un corps incomparable. Une version à éviter si l'on aime les vieux bouquets jaunis !

BB