Chroniques

par laurent bergnach

Shih
Vatermord | Parricide

1 CD ORF (2003)
CD 336
Shih | Vatermord

Né à Taiwan en 1950, Shih étudie à Tapei – notamment la musique de ballet – avant de venir à Vienne (1974) pour se former à la composition et à la harpe à la Wiener Musikhochschule. Depuis l'obtention de son diplôme (1983), il vit et travaille dans la capitale autrichienne. De sa musique, il dit qu'elle n'est pas traditionnelle mais ouverte à la tradition : « un compositeur participe d'une tradition longuement établie. Il lui appartient, et son devoir est de s'en détourner. En vérité, il peut se replier, rompre avec elle et se consacrer à l'expérimentation. Mais alors, le compositeur deviendra solitaire et isolé, non seulement comme être humain mais aussi comme artiste. Il est nécessaire d'être conscient de l'Histoire, de celle de sa propre culture comme de celle de l'endroit où l'on travaille, afin d'aboutir à une identité individuelle ». Plus intéressé par la structure des sentiments – leurs mécanismes et leurs motivations – que par les notions de métrique, de rythmique et de dynamique, Shih aime les partitions « en apesanteur », qui laisse des plages de liberté aux interprètes.

C'est aux Dresdner Tagen der zeitgenössischen Musik (Journées de Musique Contemporaines de Dresde), le 14 octobre 1994, qu'est donnée la première représentation de Vatermord (Parricide). Avec cet opéra de chambre, Shih ne rejette pas le principe de l'intrigue, mais ne cède pas non plus au réalisme. L'action se concentre sur Walter, un jeune homme qui désespère d'échapper à l'oppression paternelle et patriarcale, culminant avec le meurtre du géniteur. Adapté d'une pièce d'Arnolt Bronnen (1895-1959) datant de 1920, l'acte unique est divisé en neuf épisodes, chacun dépeignant les étapes émotionnelles et mentales de l'émancipation en action. Chacun, ici, a deux visages : le fils rebelle – « Une minute, tu es comme un jeune enfant, la suivante tu sembles un sauvage » –, son père qui veut le faire plier tout en réclamant son amour, son frère qui le tourmente pour finalement admirer sa détermination.

Le présent enregistrement résulte d'une représentation du 20 décembre 2000, données au Wiener Künstlerhaustheater, avec Huw Rhys james à la tête de l’Ensemble Musikwerkstatt Wien. Les climats paisibles mettent en valeur de plus expressionnistes (menaces de suicide, insultes, etc.), propres aux influences littéraires du jeune Bronnen. Les tête-à-tête de Walter avec sa mère (les scènes les plus longues), s'imprègnent successivement de ces ambiances, lorsque la complicité fait place au reproche. Si les lignes vocales sont particulièrement mises en valeur ici – hommage à la langue de celui qui fut un temps l'égal de Brecht –, Shih est attentif à ne pas répéter ou intensifier les tensions scéniques, d'autant que la musique souhaite être un contrepoint à la surface des choses, nous en apprenant plus sur les personnages que ce qu'ils savent d'eux-mêmes.

Servi par des voix saines et chaudes qui donnent de l'épaisseur aux personnages – Ulrike Dorner (Mère), Alfred Werner (Père), Gottfried Falkenstein (Frère) et le contreténor Nicholas Hariades, fébrile Walter –, l'ouvrage mérite l'attention.

LB