Chroniques

par françois-xavier ajavon

Simon Rattle et le City of Birmingham Symphony Orchestra
Musique orchestrale au XXe siècle (vol.2 | Rythm)

1 DVD Arthaus Musik (2005)
102 035
Musique orchestrale au XXe siècle (vol.2 | Rythm)

La série Orchestral music in the 20th century, qui reprend la leçon de musique télévisée de Simon Rattle à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, est composée de sept DVD qui permettent un tour d'horizon quasiment complet de la question. Rattle ratisse large et, en sept heures, parvient à nous révéler les secrets de compositeurs aussi différents que Strauss, Henze, Berio, Boulez, Stravinsky, Chostakovitch, Bartók ou Stockhausen, dans le cadre d'explications parfois un peu austères de cinquante-deux minutes chacune, rassemblées en thématiques transversales.

L'une des forces de ces documentaires est d'être parvenue à faire coexister des univers musicaux aussi différents les uns des autres et de nous convaincre que ce patchwork hétéroclite forme bien l'esthétique de notre cher XXe siècle révolu. De ce point de vue, Rattle a réussi sa mission pédagogique, nous livrant une vision synoptique et stimulante du bouillonnement musical du siècle dernier, depuis l'Ecole de Vienne jusqu'au Marteau sans maître et au delà…. Mais, de façon générale – comme nous l'avions fait pour le premier volume de cette série [lire notre critique du DVD] –, nous pouvons adresser quelques reproches à l'entreprise : en plus d'une certaine austérité (visuelle et narrative), la réalisation télévisée de Peter West se laisse parfois emporter par des velléités esthétiques incompréhensibles qui polluent le message du chef ; pourquoi tant d'images illustratives de la nature, des oiseaux, du soleil – qui se lève, qui se couche, qui se lève encore – et puis encore des oiseaux, et puis la mer, le tout en plans de coupe pénibles qui nous empêchent de voir jouer les musiciens ? Cette volonté de plaquer de force des visuels sur des partitions aussi suggestives, souvent déjà audio-visuelles en elles-mêmes, est une faute de goût qui ne parvient pas même à donner un rythme plus soutenu aux documentaires en question.

Ceci dit, les volumes 2 et 3 [lire notre critique du DVD] proposent un voyage assez excitant vers des monuments musicaux contemporains qui ont révolutionné notre rapport au rythme et à la couleur musical, au temps et à l'espace intérieur de la musique. Rattle part de la volonté nouvelle de certains compositeurs de déstructurer la musique, et souligne les stratégies de plusieurs d'entre eux visant à réduire la chair mélodique à un squelette rythmique minimaliste, à un pouls, et à une teinte.

La démonstration de Rattle débute avec une la citation déstructurée d'une mélodie de la 9ème Symphonie de Beethoven dans le Chant de la terre de Mahler ; ce dernier distordant jusqu'au métaphysique – pour reprendre le terme du maître de cérémonie – le propos musical initial. Puis Atmosphères, Atmosphères, l'œuvre mondialement connue de Ligeti depuis son utilisation par Stanley Kubrick dans 2001..., permet à Rattle de montrer que le XXe siècle a joué avec le rythme, structuration naturelle de la musique depuis des siècles, jusqu'à proposer un matériau complexe composé de nappes sonores aux logiques complexes et multiples, parfaitement insaisissables. Cette complexité rythmique est illustrée aussi par l'étonnante Music for Piece of wood de Reich, piquante et répétitive mosaïque sonore aux wood-blocks, inspiré de la musique africaine. Avec le Piano Roll n°21 de Nancarrow, Rattle montre que le siècle a porté jusqu'à l'absurde l'étirement des rythmes : cette pièce pour piano mécanique, strictement injouable par un pianiste, se présente comme une sorte d'ancêtre de la musique électronique, de la musique programmée par ordinateur.

Boulez avait évidemment sa place dans une démonstration sur la déstructuration de la musique et Rattle choisit de jouer et commenter le Rituel in Memoriam Bruno Maderna de 1975, jeu complexe entre des mélodies instrumentales données par de petites structures isolées au sein de l'orchestre, auxquelles répondent subtilement des percussionnistes. Au final, on est étonné de l'austérité de cérémonie funéraire de cette œuvre de Boulez, que l'on accable si souvent en France… La démonstration pédagogique de Rattle se termine magistralement avec la Turangalila Symphonie de Messiaen qu'il voit comme un hymne à la vie et même à l'érotisme. Le rythme se structure çà et là comme des cris d'animaux, des chants d'oiseaux, et laisse une troublante impression de force vitale.

FXA