Chroniques

par bertrand bolognesi

Walter Braunfels
Grande messe en sol mineur Op.37

1 CD Capriccio (2016)
C 5267
Jörg-Peter Weigle joue la Grande messe Op.37 (1926) de Walter Braunfels

C’est encore timidement que l’on joue la musique de Walter Braunfels, compositeur cependant bien connu dans les belles années de la première maturité, entre deux guerres qui marquèrent l’Europe et détruisirent sa carrière. Cet hiver, l’Opéra de Cologne mettait en scène les Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna que nous avions goûtées en version de concert à Salzbourg, il y a quelques étés, sous la battue de Manfred Honeck [lire notre chronique du 1er août 2013]. Absolument convaincu de la valeur de son œuvre, le chef autrichien s’en est fait le champion. Aussi est-ce lui qui, le 18 Avril 2010 à Stuttgart, ressuscitait la Große Messe in g-Moll Op.37 qu’Hermann Abendroth avait créée en 1927. Il aura donc fallu plus de quatre-vingts ans pour qu’on la redécouvrît enfin – entre les affres d’une mainmise culturelle écrasante à partir de 1933 et celles de la fameuse tabula rasa du second XXe siècle, Braunfels n’était plus à l’honneur.

Après l’enregistrement qu’Honeck réalisa chez Decca (de même y a-t-il gravé les Scène de Jeanne d’Arc évoquées plus haut) paraît aujourd’hui cette nouvelle version, signée Jörg-Peter Weigle. Dès la lecture de la partition, et en particulier du Kyrie, ce dernier fut happé par la personnalité du style et le génie de l’orchestration. Ainsi, après avoir activement servi la musique alors oubliée de Felix Draeseke (1835-1913), le chef allemand se passionnait pour celle de Braunfels dont il joua le vaste opus 37 à Berlin, le 1er mai 2013 : ce jour-là, les équipes de la Deutschlandradio Kultur avaient fixé ses micros, de sorte qu’est publié maintenant ce précieux témoin.

Dès le mystérieux Kyrie, on reconnaît le fin travail des timbres annoncé dès 1909 par Prinzessin Brambilla [lire notre critique du CD]. Outre une parenté indéniable avec ses contemporains Schreker et Zemlinsky, encore trouvera-t-on dans cette messe un élan lyrique plus latin, magnifiant la tradition chorale allemande – de la même époque datent d’ailleurs les Zwei Männerchöre Op.41 [lire notre critique du CD]. On admire l’indicible pureté du soprano Simone Schneider dans le Kyrie, quand les insistances dramatiques du Gloria bénéficient du ténor incisif de Christian Elsner, contrepointé par la tendresse de Gerhild Romberger (mezzo-soprano), dans des échanges proprement mahlériens. Cum sancto spiritu surprend, avec ses chatoyantes couleurs françaises.

À la maîtrise indéniable du Konzerthausorchester Berlin sont associées la masse chorale du Philharmonischer Chor Berlin et la grâce irrésistible des jeunes voix du Knaben des Staats und Domchores Berlin, dont le recours révèle, s’il en est besoin, la grande inspiration du compositeur. Les augures abyssaux du long Credo (vingt-huit minutes !), prononcé par les enfants puis toutes les voix en fugue, annoncent déjà Britten (il avait treize ans lorsque l’œuvre fut écrite). L’impératif de la scansion et la ciselure délicate de la dynamique signalent ce Credo d’une élévation plus raffinée que le Te Deum de 1922 [lire notre critique du CD], quand l’ampleur, l’architecture, les voix de garçons et certains effets, enfin la conduite du climax, le placent décidément dans l’héritage de Mahler. Après un développement fort complexe, la lumière conclut avec bonheur la séquence en un Amen jubilatoire. Après la caresse solistique de l’Offertorium, avantagée par l’équilibre du quatuor vocal dont la partie grave bénéficie du sécurisant Robert Holl, les anges tamisent un Sanctus d’abord céleste, puis plus mafflu, lui aussi scandé, qui s’achève dans le secret.

Jörg-Peter Weigle joue lui-même à l’orgue le curieux et bref Interludium qui invite à la méditation, juste avant les deux dernières sections. La fluidité de l’introduction du Benedictus est une réussite complète, tant du point de vue compositionnel qu’interprétatif. L’arrivée des voix opère dans une gravité sereine. Les petits gosiers finissent un Agnus Dei infiniment délicat. Indispensable !

BB