Chroniques

par laurent bergnach

Wolfgang Amadeus Mozart
Don Giovanni | Don Juan

1 DVD Bel Air Classiques (2005)
BAC 010
production signée Peter Brook, filmée à Aix-en-Provence en 2002

En passant du théâtre à la scène lyrique, Peter Brook s'est intéressé aux grandes figures du répertoire, de Boris Godounov à Carmen, de Salome à Don Giovanni. En 1998, pour le Festival d'Aix-en-Provence, c'est en compagnie de Claudio Abbado et Daniel Harding qu'il s'attaque au mythe rendu célèbre par Molière – une production reprise et filmée en juillet 2002. Dans un entretien qui complète le présent DVD, le metteur en scène attire l'attention sur le sous-titre de l'ouvrage, un dramma giocoso. En effet, Don Giovanni alterne amusement et sérieux, et c'est le défi à relever pour le monter : ne pas en faire une histoire à moralité, une tragédie épique comme souvent en Allemagne, ne pas non plus succomber à la plaisanterie à tout prix, mais « reconnaître que tout est à sa place », puisque le compositeur a lui-même indiqué cette ambivalence entre rire et larmes. Pour cette étude en profondeur de la nature humaine, le décor stylisé (bancs, bâtons, haies) laisse toute sa place au jeu touchant des solistes.

Autre détail souligné par Brook : loin des accords torturés qui accompagnent Wozzeck ou Lady Macbeth de Mzensk, aucune note ne critique notre seigneur, dont la force et la faiblesse est de vivre l'instant présent, sans repentir final, avec une « innocence fondamentale suscitée par une joie de vivre excessive et déplacée ». Mozart aurait-il alors, à l'instar de Leporello, plus d'admiration que de ressentiment pour ce maître es libertinage ? À chacun de juger ; ce qui est sûr, c'est que ce dernier s'indigne peu des termes de débauché, barbare, monstre, fourbe, menteur qu'on lui assène, mais refuse de passer pour un lâche. Après sa chute en Enfer (visuellement brouillonne), il est intéressant de le voir revenir en spectre parmi les vivants, occupés à des projets de souper, de couvent… ou à la recherche d'un nouveau maître.

Avec vaillance, Peter Mattei se glisse à la perfection dans la peau de ce personnage, certes vain et violent, mais diablement attachant, tout comme le valet qui le seconde dans ses bassesses – Gilles Cachemaille, puissant baryton-basse –, et leurs victimes. Alexandra Deshorties incarne une Anna nuancée, aux aigus délicats, parfois couverte lors des duos, et Mireille Delunsch une Elvira qu'on souhaiterait parfois plus veloutée, mais qui émeut par sa fragilité. Lisa Larsson, quoiqu'un un peu âgée pour cette Zerlina tentée par l'élévation sociale, séduit par sa souplesse et son legato, formant avec Nathan Berg (Masetto) un couple qui n'a rien du faire valoir de comédie ; jamais ridicules, ils ont leur place dans la cohorte des vengeurs. En revanche, Mark Padmore s'avère un Don Ottavio sans fougue, peu passionnant, pour ne pas dire peu concerné. À la tête du Mahler Chamber Orchestra, Daniel Harding propose une lecture nuancée, tendrement expressive.

LB