Chroniques

par laurent bergnach

Youri Borissov
Du côté de chez Richter

Actes Sud (2008) 286 pages
ISBN 978-2-7427-7468-5
Du côté de chez Richter, par Youri Borissov

Les conversations de Sviatoslav Richter avec Bruno Monsaingeon nous étaient familières ; celles avec Youri Borissov (1956-2007) sont une découverte. Metteur en scène d'opéra et de théâtre, cinéaste et scénariste, le fils de l'acteur Oleg Borissov (1929-1994) a bien connu le pianiste, citoyen soviétique de nationalité allemande, et nous livre, pêle-mêle, impressions, idées et références qui font le sel de discussions souvent espiègles. Comme se remémore Monsaingeon à la découverte de l'ouvrage paru à Moscou, en 2000, chez l'éditeur Rutena : « ses fantasmes et la façon dont il les formulait vous stimulaient ; et on finissait par découvrir dans ses propos, au-delà de la drôlerie et d'une forte dose d'irrationnel très typiquement russes, une mystérieuse cohérence. C'était là tout le charme du personnage ».

De rencontres imprévues en rendez-vous, Richter raconte des anecdotes de son enfance, des scènes de ménage, des rencontres (Britten, Fisher-Dieskau, Gavrilov, Michelangeli, Picasso, Prokofiev, Serkin, Sofronitski, Vedernikov, Youdina, etc.) mais évoque surtout son travail pianistique en mêlant conseils de jeu et manière de voir la musique – pour le Quatrième scherzo de Chopin, par exemple, « il s'agit d'un ange qui n'a pas encore appris à voler » ; pour jouer Tantris le Bouffon, « il faut se déguiser en clochard ». Homme de culture avec une âme d'enfant, le musicien s'appuie abondamment sur des références picturales (Ernst, Renoir, Schiele, Vermeer, etc.), littéraires (Balzac, Block, Maeterlinck, Mann, Ostrovski, Proust, Racine, Rostand, etc.) ou cinématographiques (Alexandrov, Chaplin, Cocteau, Kurosawa, Pasolini, etc.). L'image du miroir y revient comme une obsession.

En définitive, avide de partage mais rechignant à enseigner, le pianiste s'amuse de ce qui restera après sa mort : « si vous voulez un jour faire quelque chose de ces notes – les publier, vous enrichir –, sachez-le : elles seront absolument dénuées de sens pour la postérité. Vous pouvez imaginer, pour vous faire plaire plaisir, qu'un malheureux étudiant ira un jour à la bibliothèque, soulignera quelque chose au crayon rouge dans votre livre… Il passera son examen… et oubliera tout ça à jamais ». Ce qui n'est ni certain, ni impossible…

LB