Chroniques

par bertrand bolognesi

Britten, Chostakovitch et Khatchatourian
par Maja Avramovic, Frank Braley, Natalia Lomeiko,

Gareth Lubbe, Paul Meyer, Anaëlle Touret et Youri Zhislin
Festival International de Musique de Chambre / Salon-de-Provence, Abbaye de Sainte Croix
- 4 août 2023
Anaëlle Touret et Gareth Lubbe jouent Britten au Festival de Salon-de-Provence
© jael travere

Le passionnant Festival International de Musique de Chambre de Salon-de-Provence présente ses concerts dans plusieurs lieux. Si les soirées (21h) occupent généralement la cour du Château de l’Empéri, les rendez-vous de 18h occupent l’Église Saint-Michel, juste en face sur la place, et ceux de midi se font dans la chapelle de l’Abbaye de Sainte Croix. Sur les terrasses naturelles d’où admirer la plaine jusqu’à l’étang de Berre (on aperçoit même les raffineries de Fos), un petit écrin de paix accueille des moment musicaux plus intimes auxquels ne peut assister qu’un public plus restreint [lire nos chroniques du 31 juillet et du 1er août 2020]. Aujourd’hui, le petit édifice abritera deux concerts.

Nous assistons au premier, ouvert par Lachrymae (Reflections on a song by John Dowland) Op. 48 que Benjamin Britten composait en même temps que son Billy Budd, en 1950. Cette page d’un quart d’heure pour alto et harpe, qui s’articule en douze sections, cite et varie un thème emprunté à Flow my teares fall from your springs, pavane pour luth de Dowland écrite en 1596 puis agrémentée d’un poème chanté quelques années plus tard (elle est publiée sous cette forme en 1600). Sous les doigts d’Anaëlle Touret, sa ciselure est infiniment soignée, dans une inspiration profondément dolente qui n’échappe pas à l’altiste Gareth Lubbe [photo]. En sa fin, celui chante la mélodie selon la technique diphonique dont il fit impressionnant usage hier [lire notre chronique de la veille], mais qui, cette fois, nous semble dénaturer quelque peu le propos.

Avec l’approbation du compositeur russe, Lev Atovman réunissait en Cinq Pièces pour deux violons et piano des extraits de plusieurs ballets et musiques de film de Dmitri Chostakovitch. Ainsi du Prélude ultra-sentimental en provenance du Taon (Alexandre Feinzimmer, Овод, 1955) que les archets de Natalia Lomeiko et de Youri Zhislin, accompagnés au piano par Frank Braley d’un phrasé tendre, servent d’un lyrisme nostalgique. À cette romance succède une Gavotte issue, comme le mouvement suivant, de la Suite Op.37 elle-même tirée d’une musique de scène (1934) pour La comédie humaine de Pavel Soukhotine d’après Balzac. Un son à la fois généreux et délicat est mis au service de cette charmante valse bonhomme. Après la lumineuse Élégie, nous entendons une Valse probablement extraite des esquisses réalisées en vue de la musique d’Histoire du prêtre et de son ouvrier Balda, un film d’animation d’après Pouchkine, demeuré inachevé (Mikhaïl et Vera Tsekhanovsky, Сказка о попе и о работнике его Балде, 1932-1936). Avec une élégance qui en impose, les interprètes en signent une version chaleureusement vocale. Enfin, du ballet Le ruisseau limpide (Fiodor Lopoukhov, Светлый ручей, 1935) provient la Polka puisée par Atovman dans la Suite pour orchestre Op.39 (1935) ; elle clôt avec un charme non dénué d’humour ce deuxième tiers du concert, délicieux.

Dans cette même décennie où l’URSS est dominée par le stalinisme, le compositeur arménien Aram Khatchatourian conçoit un Trio pour violon, clarinette et piano (1932). Maja Avramovic, Paul Meyer et Frank Braley livrent un Andante con dolore généreusement rhapsodique dont surprend la liberté de style. Après un Allegro médian d’une tendresse évidente, le Moderato bondit dans une inspiration clairement folkloriste. Ainsi se termine notre visite à ce fort beau festival [lire nos chroniques des programmes Brahms-Damasse-Šulhov, Beethoven-Glière-Kodály-Lubbe et Dohnányi-Flament-Prokofiev-Verdi des jours précédents] !

BB