Chroniques

par hervé könig

bye bye Gatti
Olga Borodina, Orchestre national de France

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 9 juin 2016
adieu du chef milanais daniele Gatti à l'Orchestre national de France libéré
© marco borggreve

En huit ans, il y eut des hauts, il y eut des bas. Lorsque Daniele Gatti fut nommé à la tête de l’Orchestre national de France, Paris retentit de clameurs enthousiastes et d’autant de soupirs déçus, comme c’est toujours le cas à l’avènement d’un nouveau chef dans ses institutions. Parallèlement à son activité à ce pupitre-ci, avec ce qu’il fallait d’à-propos le Milanais poursuivit par ailleurs une carrière qui le mena finalement à la barre du Koninklijk Concertgebouworkest. Ainsi quitte-t-il l’ONF pour Amsterdam où ses supporters – et il en compte, comme en témoigne cette journée entière que lui consacrait aujourd’hui Radio France – pourront l’applaudir lors des concerts de cette prestigieuse formation.

Tout en ayant principalement joué le répertoire germain durant son mandat, en mahlérien, wagnérien, brahmsien et même brucknérien qu’il s’est affirmé, Gatti choisit de dire adieu à notre phalange radio-symphonique à travers un programme franco-russe – ou hélvéto-urkrainien, si l’on est pointilleux. La soirée commence par la Symphonie n°3 « Liturgique » d’Arthur Honegger, créée en août 1946 par Charles Munch, à Zurich. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le compositeur écrit trois mouvements en guise de Requiem à une civilisation capable de s’être égarée dans une telle tourmente. Le Dies irae initial bénéficie d’une stimulante tonicité, malgré des contrastes très brutaux qui ne font guère le meilleur de la signature gattienne. Ses qualités sont à l’œuvre dans l’adagio central, De profundis clamavi d’environ treize minutes faisant l’objet d’un soin minutieux. Le pas général absorbe irrésistiblement l’écoute, magnifié pas un équilibre très exactement soutenu, dans un dramatisme bien senti. Voilà un grand moment de musique ! La tension n’en démord pas, jusqu’au Dona nobis pacem, dernière partie de la symphonie dont l’interprétation d‘aujourd’hui renoue avec une façon toute personnelle d‘en appuyer chaque trait jusqu’au heurt. De même l’indescriptible étirement de la coda aura-t-il raison des bonnes dispositions dans lesquelles nous trouvaient ce concert, il faut l’avouer : tellement insupportables ces auto-complaisances ne peuvent que générer un sentiment joyeux et impatient à la perspective que Daniele Gatti poursuive enfin sa carrière ailleurs – au critique qu’il ne soit demandé nulle sainteté.

Curieusement, au regard des saisons qu’il a dirigée à l’ONF, Daniele Gatti donne maintenant Alexandre Nevski Op.78 de Sergueï Prokofiev, initialement conçu pour le film éponyme d’Eisenstein (1938). De suite frappe la profondeur de son approche de Sous le joug mongol, dans une émouvante désolation. Au Chœur de Radio France de faire son entrée, pour le Chant sur Alexandre Nevski, dont le premier volet possède ce qu’il faut de recueillement, à l’inverse du second motif, assez rudement « décomposé », malheureusement, par une conception d’ensemble trop fragmentaire. La tendance à alourdir le tempo et aussi l’attaque grève dès l‘introduction Les croisés dans Pskov jusqu’à la platititude. S’il faut éviter de comparer avec les illustres maîtres russes qui servirent magnifiquement cette page, rappelons tout de même que les compatriotes Riccardo Muti et Claudio Abbado surent s’illustrer autrement dans cette fameuse cantate… Ce soir, ce n’est vraiment que caricature. Ainsi ce Debout, peuple russe de cartoon ! Le chef est décidément à des années-lumière de l’œuvre. Difficile de ne pas se souvenir de Kurt Masur, avec les mêmes orchestre et chœurs, à Saint-Denis, autrefois... Pourtant, La bataille sur la glace surprend par une soudaine subtilité qu’on n’attendait plus – par ses réussites et ses erreurs, cette approche est simplement incompréhensible.

« Я пойду по полю белому », entonne le contralto.
Le prélude à cette saisissante lamentation est désormais incroyablement inspiré. La précision et l’engagement des musiciens de l’Orchestre national de France n’ont d’égales que la sensibilité du chef et la générosité vocale d’Olga Borodina, somptueuse. Après ce superbe Champ des morts, bien qu’efficacement jouée la liesse d'Entrée de Nevski dans Pskov a du mal à chasser l’émotion. Le roi est mort, vive le roi : au moment où l’on rédige ces lignes est annoncée officiellement la succession d’Emmanuel Krivine au poste qu‘occupait Daniele Gatti depuis 2008.

HK