Chroniques

par laurent bergnach

Chostakovitch en images
Katerina Ismaïlova – Le Roi Lear

Classique en images / Auditorium du Louvre, Paris
- 19 et 22 octobre 2006
Chostakovitch en images, à l'Auditorium du Louvre
© centre chostakovitch, paris

L'espace de cinq journées, le cycle Classique en images propose plusieurs concerts et films consacrés à Dmitri Chostakovitch – dont un reportage ajouté en dernière minute, sur le voyage transatlantique que le compositeur, se sachant très malade, entreprit en 1973. Première fiction de la biennale, Katerina Ismaïlova, présentée ce mercredi, a été tournée en couleurs en 1966. Irina Chostakovitch, à qui fut remis la veille les insignes d'Officier dans l'ordre des Arts et Lettres, nous a fait l'honneur de quelques mots d'introduction.

En premier lieu, elle précise que son défunt mari – réticent à une adaptation cinématographique de l'œuvre – assista aux enregistrements d'une bande son qui bénéficiait de la direction magnifique de Konstantin Simeonov, à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Kiev. Elle rappelle ensuite toutes les qualités de Galina Vichnevskaïa dans le rôle-titre. Au delà de sa beauté et de son talent, l'ancienne prima donna du Bolchoï (quatre-vingts ans, ce 25 octobre) reste une femme active qui enseigne son savoir dans sa propre école et considère comme un devoir tout ce qui touche à la musique. Ainsi, elle a refusé d'être doublée dans la scène finale du film, de même qu'elle a récemment convoqué la presse pour décommander son jubilé prévu au Bolchoï – la mise en scène décalée, voire irrévérencieuse d'un Eugène Onéguine lui faisant prendre ses distance avec cette maison. Enfin, le réalisateur Mikhaïl Shapiro est salué pour une mise en scène respectueuse, où sa propre vision n'est pas imposée, et qui n'appuie pas les aspects érotiques déjà présents dans la musique ; Mme Chostakovitch se dit personnellement touchée par le désespoir du dernier acte, traduit par une steppe mélancolique, à la lumière très blanche.

Créé en janvier 1934, l'opéra Lady Macbeth du district de Mzensk fut rejeté par Staline. Sa reprise remaniée, Katerina Ismaïlova (1962), servira à l'adaptation cinématographique de 1966. Les trouvailles n'y manquent pas – pensées de l'héroïne en voix off, insert d'images en noir et blanc, séparation de l'écran pour quelques plans constructivistes, etc. – mais laissent respirer cette « tragédie satire », tournée dans des décors naturalistes épurés. Mi Magnani, mi Mangano, Vichnevskaïa s'impose par son jeu intérieur et sa voix ample, colorée, aux graves sonores. Ses partenaires s'avèrent aussi d'un bon niveau, tel Artyom Inozemtsev, Sergeï au chant musclé.

Dimanche, nous découvrons Le Roi Lear, une autre production des studios Lenfilm, qui reçut de nombreux prix internationaux après sa sortie en février 1971. Trente ans plus tôt, Chostakovitch avait déjà écrit une musique de scène – surtout vocale – pour cette tragédie ; ici, il livre sa trente-septième et dernière œuvre pour le cinéma, dont presque un tiers en collaboration avec Grigori Kozintsev. Le réalisateur a eu recours à des comédiens charismatiques et à des décors naturels monumentaux (vastes déserts, hautes murailles), captés en noir et blanc. La contribution du musicien se résume à une petite demi-heure sur près de 140 minutes, habitant soudain le silence avec de simples illustrations de trompettes, de cloches et de flûte, ou des chœurs désolés sur les scènes de batailles. Comme l'usurpateur Claudius évoquait Staline dans sa vision d'Hamlet, Kozintsev puise en Shakespeare matière à critiquer son époque, avec des phrases comme « aux temps troubles, les fous guident les aveugles » ou « discuter en prison des fausses doctrines », et des images récurrentes de croix. L'espoir demeure, puisqu'au terme des luttes de pouvoir, on voit le peuple reconstruire. Une leçon de cinéma pour bien des générations.

LB